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Bilibino

 

Lundi 14 juillet 2014

Le ministère des Sports et du Tourisme du Chukotka, avec qui tu es en contact t'a demandé de te déclarer auprès des autorités en arrivant au Chukotka. Tu as renoncé à le faire à Aniusk car la ville te paraissait trop petite, peu concernée par les arrivées d'étrangers. De toutes façons, tu aurais trouvé les bureaux vides un Dimanche soir.

Tu te rends donc au poste de police, de l'autre coté de la ville. Si en Russie les gens parlent peu Anglais, en Sibérie, ils ne le parlent pas du tout. Pour éviter les malentendus, tu fais celui qui ne comprend rien au Russe. Après quelques essais de discussion, on finit par te guider au bureau des Migrations. Surprise : ce bureau est au rez de chaussée de l'immeuble voisin de ton hôtel. Peut être son unique employé avait-il déjà repéré ta moto. Tu lui montres ton passeport et tes autorisations pour le Chukotka. Il semble contrarié. Problème ? Non, les documents sont complets, tout est bon, mais il te demande à plusieurs reprises quand tu quitteras Bilibino. Tu n'en sais rien, tu es bloqué. Tu comprends finalement que tu as droit à séjourner une semaine dans les villes étapes de ton voyage. Ensuite, tu serais dans l'illégalité si tu restais. Tu aurais mieux fait d'attendre que l'on te contrôle avant de te rendre dans ce bureau. Tu essayes de lui demander comment trouver des informations sur l'état de la route, mais il l'ignore. Personne ne va à Egvekinot depuis Bilibino par la route. Du moins en été. Tu le quittes, en te disant que tu as quelques jours pour te préparer.

Tu as besoin d'une connexion internet, ne serait ce que pour prendre la météo dans les zones que tu vas traverser. Tu te rends dans un magasin pour acheter une seconde carte SIM d'un autre opérateur. Avec ta carte MTS, le téléphone fonctionne mais pas internet. Hier soir, la réceptionniste t'a conseillé de prendre une carte SIM Megafon... Tu en achètes une ainsi qu'un second téléphone premier prix pour rester joignable par Nicolaï. De retour à l'hôtel, toujours pas d'internet. Tu retournes au magasin. On t'explique qu'il est normal qu'Internet ne fonctionne pas. Il y a des moments où cela fonctionne, et d'autres... où rien ne fonctionne. C'est comme pour les routes, la Sibérie a sa définition propre de la normalité. A nouveau, tu demandes à la réception de l'hôtel si pour eux Internet fonctionne. Bien sur que cela fonctionne, mais la réceptionniste du jour est chez un troisième opérateur. Tu te promènes en ville. Tu rentres dans la bibliothèque municipale, la poste : pas d'internet. Internet : « Nieto ». Et toujours rien sur ton téléphone. Tu te décides à retourner au magasin et à prendre une troisième carte SIM. Sur le téléphone de la vendeuse, Internet est accessible mais pas sur le tien. Elle passe plusieurs heures à essayer de comprendre. Elle essaye plusieurs cartes SIM, plusieurs téléphones,... Ton téléphone ? Tu commences à pense que le déverrouillage de ton téléphone effectué à Vladimir est à l'origine du problème. Finalement, tu te décides à acheter un second Smartphone. Vous essayez le premier prix de chez Samsung, et cela ne fonctionne pas. Un Nokia... pas de souci. Tu prends donc le Nokia. Enfin Internet... Tu vas pouvoir récupérer tes mails, prendre la météo, et mettre à jour tes sites.

Tu profites enfin d'internet. Tu laisses la télévision allumée pour regarder les informations. Toujours beaucoup d'images et de commentaires sur l'Ukraine. Souvent de la propagande de bas étage : un homme politique Ukrainien est interviewé et la séquence est interrompue par des images montrant un caméléon, ou une caricature où on lui a rajouté une couronne sur la tête. Tu es surpris par la bassesse du procédé. Sinon, les images tournent en boucle avec des « experts » pour les commenter. Barack Obama semble être la cible de leurs propos.

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Mardi 15 juillet 2014

3 heures du matin. Tu ne dors pas car tu penses aux différentes solutions pour poursuivre. S'il te faut renoncer à la route, il faudrait que tu trouves un moyen de rejoindre Anadyr pour faire des essais sur mer, et peut être poursuivre de là. Peut être l'avion mais tu doutes qu'il y ait sur Bilibino des avions assez gros pour embarquer ta moto. Et encore faudrait-il que la compagnie aérienne accepte les « dangerous goods ».

Le téléphone sonne : c'est Bob de Irkutsk. Tu n'es pas vraiment surpris par l'heure. Plus grand chose ne te surprend en Russie. Il te demande où tu es, si tu as besoin d'aide. Effectivement, tu pourrais faire appel à ses qualités de traducteurs si besoin. Il te dit aussi qu'il est saoul depuis trois jours, qu'il boit trop. Un mal très répandu en Russie. Ton projet l'impressionne, et lui donne envie d'avoir lui même des projets, de sortir de l'alcool. Tu serais heureux qu'il arrête, heureux qu'il ait des projets. Et fier si ton projet déclenche cette décision.

Depuis que tu es en Russie tu prends conscience petit à petit des ravages de l'alcoolisme. Il est encore plus répandu ici, au Chukotka. Le phénomène existe en France, mais il est ici cent fois plus grave, cent fois plus développé. Un drame. Les gens ne boivent pas en soirée, mais de manière continue.

Bon, il te faut préparer ta journée... Quelques courses, le plein d'essence, quelques outils en cas de crevaison, et tu partiras en reconnaissance sur la route d'Egvekinot. Tu aimerais faire les deux cents premiers kilomètres pour arriver à la première grosse rivière. Comprendre la piste, et comprendre ces rivières... Ensuite tu rentreras et décideras. Cela te permettra aussi d'évaluer ta consommation d'essence. Tu ne connais pas l'impact du passage au « 80 ». Ta moto est faite pour rouler en « 95 ».

10h30. Ton sac est prêt. Tu passes à la banque pour retirer du liquide avant d'aller faire le plein. Ton voisin dans la queue pour le distributeur de billet te dit « motorcycle » en voyant tes bottes. « Da. KTM ? Da. » La ville est petite et ta moto n'est pas complètement passée inaperçue. Il te dit qu'il est aussi motard, qu'il a une KLR 600. Tu avais croisé une moto qui ne s'était pas arrêtée. Peut être lui... Vous poursuivez la conversation. Tu lui expliques ton souci de route. Il pense que la route de Pevek devrait ouvrir (ce qui signifie « des passages de camions ») d'ici quelques semaines. Il pause la question à une autre personne dans la queue, puis revient vers toi : « Aujourd'hui. ». Des camions commencent à faire le trajet Bilibino-Pevek aujourd'hui! Il t'explique qu'il y a 5 rivières profondes jusqu'à l'embranchement. Qu'en dehors des rivières, la piste n'est pas particulièrement mauvaise. Pour passer les rivières, il faut attendre devant le gué qu'un camion arrive et mettre la moto dans la benne... Cela semble être la procédure normale.

Vous allez voir ta moto. Vladik pense que tu es bientôt en bout de voyage et te propose de la racheter. Tu lui montres la vidéo pour lui expliquer que tu aimerais n'être qu'à la moitié... Il comprend ton projet. Il te demande une copie de la vidéo sur une clé USB. Tu voudrais savoir si tu pourrais t'arranger avec un camion pour te porter de l'essence. Il doit partir mais te rappelle dans une heure.

Tu remontes dans la chambre pour écrire ces mots. En dix minutes beaucoup de choses ont changé. Tu n'en connais pas encore le détail, mais voilà des très bonnes nouvelles. Ton ange gardien a eu une bonne idée de t'envoyer à la banque.

Une heure plus tard, Vladik te rappelle. Il est à l'entrée du bâtiment de l'hôtel avec un cycliste. Tu comprends que ce cycliste, Pavel, est un chauffeur d'un Kamaz qui doit se rendre à Egvekinot. Tu ne comprends pas beaucoup plus... Pavel appelle quelqu'un avec ton téléphone. Un collègue ? Cinq minutes passent et arrive Costa, qui parle très bien Anglais. Costa joue le rôle d'interprète : Pavel partira Vendredi et peut prendre tes affaires en charge. Il peut même mettre la moto dans son camion. Tu te vois déjà à Egvekinot alors qu'il y a une heure, cela relevait de l'exploit.

Pavel vous laisse et vous poursuivez avec Costa et Vladik. Costa t'explique qu'il voyage avec sa compagne, un ami et un couple de Moscou. Vous aller donc tous ensemble retrouver les amis de Costa. Ils sont logés dans un gîte aménagé pour les voyageurs de passage. Un lieu qui date de l'époque soviétique et qui a conservé sa fonction grâce à des habitants de la ville. Tu peux les y rejoindre mais tu viens de renouveler la location de ta chambre pour deux nuits supplémentaires.

La discussion continue. Tu apprends beaucoup de Vladik qui, chercheur d'or et motard, connait très bien la région, et aussi de Costa qui a souvent voyagé au Chukotka. Déjà le parcours : il y a encore une longue série de gués à traverser juste après l'embranchement, dont certains profonds. Les ours ? Il y en a beaucoup le long de cette route. Sont-ils agressifs ? Non, sauf lorsqu'ils sont blessés, ou lorsque l'on menace un jeune. Costa, qui a souvent été en relation avec les autorités du Chukotka pense que tu n'arriveras pas à négocier un départ plus proche du détroit que Provideniya. Beaucoup d'informations.

Enfin, Costa t'explique que tu as probablement provoqué certains malentendus : Costa devait accompagner pendant ce voyage un motard Français avec une KTM, la même moto que toi... Il est Breton, s'appelle Philippe Herbs. Il a eu des soucis mécaniques en cours de voyage et a pris plusieurs semaines de retard. Vous êtes donc deux motards, presque jumeaux, à vous rendre à Egvekinot cet été. Costa avait demandé à Pavel son support pour le trajet d'Egvekinot. Il avait aussi prévenu la compagnie de navigation du Kolyma, et il pense que tu as pris la place de Philippe qui était attendu au moment où tu es arrivé. Tu n'es pas certain que ce soit effectivement le cas, mais en tout cas, Philippe devrait râler car il présente son projet comme le premier trajet en moto de France au Chukotka. Tu espères le rencontrer, si tu n'as pas déjà quitté Egvekinot lors de son arrivée.

Danila et Costa t'expliquent que plusieurs personnes leur avaient parlé de ce Français qui était à plusieurs endroit en même temps. Certains connaissaient ton blog, et Danila avait fini par comprendre que vous étiez deux. Deux à vous suivre, chacun ignorant l'existence de l'autre. Enfin, tu te démarques un petit peu par le fait que tu voudrais pousser plus loin avec ton bateau. Mais c'est encore loin d'être gagné.

Vladik t'a proposé de faire une présentation de ton voyage aux enfants de l'école. Ou plutôt aux enfants du « centre aéré » car les cours sont terminés, mais l'école accueille toujours les enfants en proposant des activités variées.

Tu te retrouves donc face à une cinquantaine d'enfants et quelques enseignants. Costa assure la traduction. A la fin de la présentation, une séquence de questions. Pratiquement tous les enfants lèvent le bras pour poser des questions, souvent très opportunes. Tu es surpris de leur vivacité ainsi que par la qualité, la variété et aussi la liberté de leurs questions. Peut être est ce le contexte hors scolaire, mais ces enfants te paraissent particulièrement ouverts.

Tu es soumis ensuite à une épreuve que tu n'attendais pas : des autographes... Peut être le souvenir d'images de la coupe du Monde de football, mais après avoir signé un premier autographe, c'est la ruée : tous les enfants veulent ta signature. Et certaines petites filles veulent leur photo à coté de toi. Te voilà devenu d'un seul coup une vedette à Bilibino.

Vous vous rendez ensuite au Musée. Seulement deux salles, mais des sujets variés qui tournent surtout autour de la paléontologie et de l'ethnologie. Aussi une présentation de la faune locale, ainsi qu'une série d'objets et de minéraux liés à la recherche minière. Principalement de l'or. Tout le personnel du musée vous accueille. La visite dure longtemps. Elle se termine par l'atelier de deux sculpteurs Tchouktches. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un touriste à Bilibino.

Une journée riche. Pour finir, Vladik te propose ainsi qu'à Danila, l'ami de Costa d'aller voir ses engins amphibies. Il s'agit d'anciens transports militaires blindés qu'il vient d'acquérir. Le premier fonctionne et le second est en cours de réfection. Tu es surpris qu'un jeune homme ait acquis de tels engins. Mais Vladik a gagné à la loterie : il a trouvé une pépite d'environ 1,5kg d'or. De quoi lancer une activité plus industrielle.

En te couchant, tu restes surpris de la tournure de la journée. Au lieu de 400km de mauvaises pistes, tu auras fait des rencontres, appris plein de choses et trouvé la solution pour poursuivre.

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Mercredi 16 juillet 2014

Tu retrouves Costa, Danila et leurs amis en début d'après midi. Ils doivent participer à la réunion d'une association des peuples indigènes et t'invitent à venir avec eux. La salle est dans le bâtiment voisin. Jeima, la compagne de Costa est elle même originaire d'une tribu de Sakhaline. Ils veulent échanger sur leur coutumes respectives.

Bilibino est une ville récente créée pour servir de base à la recherche aurifère. 90% de la population est d'origine Européenne. Les mines d'or ont attiré beaucoup de monde, et la ville est devenue un centre de vie avec ses écoles, ses magasins, ses administrations, et même sa centrale nucléaire. Il se dit que c'est la ville la plus chère de Russie et les fonctionnaires y ont une prime spéciale pour compenser le coût de la vie. Les aborigènes sont donc très minoritaires en ville.

La région était à l'intersection de deux zones de peuplement : les Evenses à l'Ouest et les Tchouktches à l'Est. Les Tchouktches sont majoritaires. Les tribus Tchouktches sont elles mêmes divisées en deux groupes : les pêcheurs de baleines, phoques et autres morses sur les côtes, et les éleveurs de rennes dans les terres. Ces derniers sont nomades et leur mode de vie ressemble un peu à celui des Mongoles. Les différentes communautés étaient en relation régulière et échangeaient leurs produits.

La période stalinienne a été très dure pour les peuples aborigènes : sédentarisation et déportation. Les modes de vie traditionnels ont été abandonnés, le chamanisme condamné, et l'alcoolisme est souvent devenu l'occupation principale. Tu as vu avant de partir un film de Fréderic Tonolli sur le sujet et lu aussi des livres de Youri Rytkhèou.

Les personnes participant à la réunion sont d'origines variées. Un couple est originaire d'une région située le long du Kolyma où l'on rencontrait aussi bien les tribus Yakoutes, que les Evenses et les Tchouktches. Ce couple parle donc plusieurs langues en complément du Russe. Aussi une enseignante pour la langue Tchouktche, et une autre enseignante qui travaille avec les tribus nomades dans une école elle même nomade.

Jeima lit des poèmes qu'elle a écrit. Une dame lit à son tour des poèmes Tchouktches. Costa montre des films montrant la vie de la tribu de Jeima, ainsi que des films plus anciens sur Sakhaline.

Sakhaline est à seulement une quarantaine de kilomètres d'Hokkaïdo, et peu de choses distinguaient les populations de ces deux îles. De même, peu de choses devaient distinguer les peuples de Sakhaline et ceux de la région de l'Amour, l'Amour qui est proche du Kolyma, qui est proche du Chukotka, qui est lui même proche de l'Alaska... Tous ces peuples aborigènes étaient voisins. Longtemps le Chukotka n'a intéressé aucun empire, les frontières n'existaient pas et l'Amérique était alors reliée humainement à l'Eurasie. Les Tchouktches pouvaient alors traverser librement le détroit de Bering, sans passeport.

Une enseignante vous apprend quelques mots de Tchouktche. Tu as déjà fort à faire avec le Russe et tu ne les retiendras pas. On t'apprend aussi que le principe des associations aborigènes a été lancé il y a seulement une vingtaine d'années par un Français, Charles Weinstein. Que ce linguiste a aussi travaillé sur un dictionnaire Tchouktche-Français-Anglais.

A la fin de la réunion, tu reçoit en cadeau un DVD sur le Chukotka. Déjà hier, les enseignants de l'école t'avaient fait un cadeau. Un enfant gâté.

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