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De Bilibino à Egvekinot

 

Vendredi 18 juillet 2014

Vous êtes allés déposer vos affaires dans le camion hier soir. Tu souhaitais aussi faire un essai de chargement de la moto sur le camion de Pavel avec un palan. Tu veux pouvoir la charger et la décharger le plus vite possible pour ne pas faire perdre trop de temps aux chauffeurs.

Ce matin, vous avez rendez vous avec Pavel à 10h pour le grand départ. Vous prenez tous un taxi et passez à la station service pour que tu remplisses tes jerrycans. Tu emportes un total de 70 litres d'essence.

Tu ne comprends pas toutes les discussions, mais Costa et Jeima resteront sur Bilibino et prendront plus tard un camion pour Pevek. Danila monte dans un camion conduit par Sacha. Nadia et Mikhail, le couple de personnes âgées qui accompagnaient Costa, montent dans le camion de Pavel qui portent vos bagages, et toi tu suis en moto. Ou plutôt tu ouvres la route car tu aurais du mal à suivre derrière le nuage de poussière soulevée par les camions.

Lors des cent premiers kilomètres, la route est bonne, voire très bonne. Les camions n'avancent pas bien vite à cause du relief. Tu t'arrêtes pour les attendre tous les 30km environ. Les gués que tu traverses sont peu profonds. Des ruisseaux plutôt que des rivières. Mais tu sais que cela ne peut pas durer.

90km. Tu attendais la première grosse rivière à 200km, mais en voici une qui te donne déjà à réfléchir. Au lieu de prendre le gué des camions, qui te semble trop profond, tu t'éloignes en aval et trouve un passage moins profond. Tu traverses avec de l'appréhension. Le courant pousse l'eau sur tes bottes, et tu as rapidement la botte droite remplie d'eau. Tu aurais du mettre ton pantalon de pluie, mais c'est trop tard. Tu attends les camions. Sacha qui arrive le premier te dit qu'il te faut retraverser car c'est l'heure du déjeuner... Tu retires tes bottes et traverses pieds-nus. Tu es heureux d'avoir effectuer ta première traversée sans accroc, mais il ne faut pas abuser non plus.

Les rivières se succèdent. Une heure plus tard tu recherches à nouveau un passage plus rassurant que le gué officiel lorsque Pavel te dit que l'on va charger la moto car d'autres rivières encore plus profondes vont suivre à 10, puis 30 km.

Danila s'occupe du palan alors que tu prépares la moto. Il vous faut une dizaine de minutes pour hisser la moto à 1 mètre du sol. Lors de la traversée suivante, elle sera mouillée jusqu'au moteur, soit une hauteur d'eau d'1m30 environ.

Après cette première série de rivières, tu récupères la moto. L'ensemble chargement-déchargement prend un peu plus d'une demi-heure, et tu as honte de faire perdre ce temps à tes compagnons de route. En Sibérie, le temps n'a pas la même valeur qu'en Europe occidentale... On le prend, mais on ne le compte pas. Tu n'es toujours pas un vrai sibérien.

Rivière après rivière, tes deux bottes ont été plusieurs fois inondées. Alors que vous avez hissé à nouveau la moto sur le flanc du camion, Pavel s'en inquiète. Il pense que tu vas prendre froid. Il t'offre une paire de chaussettes neuve, te prête un pantalon et une paire de chaussures.

La journée dure. Elle pourrait ne jamais s'interrompre comme le soleil ne se couche pas. Mais Pavel et Sacha, les chauffeurs s'arrêtent pour un semblant de nuit vers 11h du soir. Toujours près d'une rivière afin d'avoir de l'eau pour le thé. Au Chukotka, l'eau des rivières est claire, pure. Il suffit de se baisser pour remplir la bouilloire.

Tu recherches un peu de sable pour planter ta tente. Tu la dresses vite, dînes avec tes compagnons, et tu files te coucher pour t'endormir de suite. Pavel a conservé ton pantalon et tes bottes trempés. Il t'assure que tout sera sec demain. Tu as du mal à le croire.

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Samedi 19 juillet 2014

Tu es réveillé le matin par le bruit d'un troupeau de rennes. Vous vous êtes arrêtés près d'un campement Tchouktche, et tu les observes de loin. Seul, tu aurais pu aller à leur rencontre.

Pavel te rend tes bottes et ton pantalon. Tout est sec. Le chauffage des Kamaz est redoutable... Tu récupères la moto en milieu de matinée après une nouvelle série de rivières profondes. Cette fois, tu portes ton pantalon de pluie pour freiner l'entrée de l'eau dans les bottes. Tu sais que ce ne sera pas d'une efficacité totale, mais avec un peu de chance, tu resteras les pieds au sec plus longtemps.

En fin de matinée vous vous arrêtez dans la base-vie d'un chantier. Probablement des personnes qui travaillent pour la route, ou alors la base reculée de mines. La richesse de la région reste les mines d'or, mais celles ci sont éloignées de la route. Parfois de plusieurs centaines de kilomètres. La remorque que portait Pavel sur son camion est descendue par une grue. Et vous repartez, Pavel traînant désormais deux remorques.

Peu de temps après, une rivière qui te semble bien profonde. Pavel te dit que l'on va monter le camion sur la remorque. Le palan ne peut plus être utilisé depuis que les deux remorques ont été dépilées, et il vous faut monter la moto à la force des bras. A quatre, cela n'est finalement pas si difficile mais il ne faudrait pas le faire trop souvent.

En début d'après midi, vous arrivez au pont de la rivière Palawan. Le seul pont de cette route, que vous ne prendrez pas car il mène à Pevek. Vous attendez à l'embranchement un ami de Pavel qui doit venir chercher la seconde remorque depuis Pevek. Le rendez vous est fixé au milieu de journée, mais vous attendrez jusqu'à 6 heures du soir. Un petit retard pour la Sibérie. Pevek n'est qu'à 200km, mais il faut compter 7 heures de route pour un camion.

Danila fait du feu car la température a bien baissé depuis Bilibino. Il fait désormais moins de 10°. Tu discutes avec Danila qui vous quittera pour Pevek où il sera rejoint plus tard par Costa et Jeima. Les parents de Danila sont nés en Ukraine, et le sujet est brulant pour Danila. Tu es surpris par sa colère, par les critiques qu'il adresse aux occidentaux. Mais tu le comprends. Une partie de sa famille vit dans des zones bombardées. Tu ne pensais pas que tant de Russes avaient des attaches en Ukraine. Tu ne comptes plus les personnes rencontrées qui t'ont dit avoir de la famille dans cette partie de l'Ukraine.

Danila a beaucoup voyagé. Il a passé plusieurs mois en Australie, en Nouvelle Guinée-Papouasie, dans plusieurs régions du monde. Il est critique vis à vis de beaucoup de choses en Russie, mais il considère sans ambiguïté que la partie orientale de l'Ukraine devrait rester liée à la Russie. Les frontières ont été dressées sous l'autorité de Staline sans lien avec l'identité des peuples. A l'époque, on était avant tout Soviétique, et l'appartenance aux Républiques Ukrainienne ou Russe était anecdotique. Aujourd'hui, les familles sont séparées par une frontière devenue réelle, et les bombes pleuvent. Danila est en colère comme beaucoup de Russes.

Danila n'a pas trente ans, mais il regrette l'Union Soviétique. A l'époque, les frontières étaient sans importance. A l'époque, la population de Bilibino était deux fois plus importante. A l'époque, les villes fantômes n'existaient pas. Le pays fonctionnait. Le Parti Communiste était pour Danila une anomalie, mais l'Union Soviétique une richesse. Pour Danila, Gorbatchev a détruit un pays, et il lui en veut pour cela.

Tu es aussi surpris par le soutien que les Russes portent à Poutine. Rares sont ceux qui le critiquent. Pour toi, occidental, Poutine est l'archétype du politicien attiré par le pouvoir. Tu l'imaginais détesté par ses concitoyens. Un homme de système, adroit, mais sans valeur humaine. Pour les Russes que tu rencontres, Poutine est au contraire un homme apprécié. Il a redonné de l'autorité au pouvoir. Il a aussi réduit fortement l'insécurité et mis en chantier une reconstruction à la fois économique et politique de l'ex Union Soviétique, ou de la grande Russie. Les blagues envers Poutine sont nombreuses, mais elles sont plutôt bienveillantes.

Lorsque l'ami de Pavel arrive pour récupérer la remorque, aucune rancœur pour le retard, mais le plaisir des retrouvailles. La route d'été vient juste d'ouvrir, et depuis la fermeture de la route d'hiver, les amis ne s'étaient plus vus. A nouveau un thé, un café, des discussions, des blagues...

Il est près de 8 heures du soir lorsque vous repartez. Tu as pris la place de Danila dans le camion de Sacha. Vous suivez la rivière Palawan en direction du Sud. Les traversées de rivières qui affluent vers la rivière Palawan sont nombreuses.

Les paysages sont d'une grande beauté. Tu réalises que tu es sur l'une des plus belles routes que tu connaisses. Tu te souviens, dans ta jeunesse avoir parcouru avec la même émotion la route entre Tamanrasset et Djanet. Pendant ton tour du monde, tu avais admiré la route du Nord en Mongolie, et aussi la route de l'Altiplano Bolivien entre San Pedro de Atacama et Uyuni. Mais celle-ci est encore plus belle. Les vallées sont vertes et les montagnes nues. La variété des roches est telle que les couleurs changent en permanence. Tu es heureux d'être sur cette route. Elle valait à elle seule ce long voyage.

Les relations avec Sacha, sont étranges. Danila t'avait prévenu que Sacha était en colère contre ton casque qui avait fait une rayure sur son tableau de bord alors que tu étais dans le camion de Pavel. Sacha est très attaché à son camion, à ses habitudes, et tu dois faire avec. Tu es assis sur le siège libre, près de la fenêtre avec à tes pieds la caisse de nourriture de Sacha. Mais tes pieds sont eux au niveau du siège central sur lequel Sacha laisse son paquet de cigarettes et son sachet de bonbons. Ta position n'est donc pas des plus confortables surtout quand le camion fait du rodéo sur les pierres.

Alors que tu apprécies Nadia et Micha, le couple de personnes âgées qui voyage avec pavel, tu sens qu'une certaine distance existe entre eux et les chauffeurs. Peut être parce qu'ils s'attachent à prendre leurs repas à part, alors que les chauffeurs mettent tout en commun. Tu regrettes ce froid et essayes de faire le lien. A nouveau, ton niveau de Russe ne t'aide pas... Mais tu aides Nadia et Micha à récupérer leurs sacs dans le camion dès qu'il le faut. Escalader la remorque pour Micha qui a 75 ans n'est pas forcément simple, et tu l'as vu chuter en arrière lors de la pause dans la base vie. Heureusement une chute sans conséquence.

Nadia et Micha sont Moscovites. Ils ressemblent à tout couple de retraités français. Tu les aurais imaginés ex-propriétaires d'une mercerie, ou peut être d'une droguerie dans un petit village provençal. Mais Micha travaille encore, et Nadia vient juste de prendre sa retraite. Quel travail ? Tous les deux sont des experts en armement... Nadia travaillait pour les systèmes de navigation des missiles balistiques longues portée, et Micha est toujours un expert en satellite de surveillance. A nouveau l'armée... Tu as l'impression de revivre les mêmes rencontres.

Pavel roule désormais devant, et le camion de Sacha suit. Régulièrement, Pavel annonce un ours à droite, puis un autre à gauche... Tu avais fini par croire que les ours faisaient parti d'un mythe, mais tu peux témoigner : ils existent, et ils sont effectivement nombreux. Parfois aussi des élans car il faut bien nourrir ces ours.

Lorsque les camions arrivent, les ours s'enfuient. Même s'ils sont énormes, ils comprennent qu'ils ne font pas le poids face à un Kamaz. Ils se mettent alors à courir à une vitesse que tu n'aurais pas soupçonnée. Ils courent aussi vite quelque soit le relief. Une fois, tu en voies un qui prend la pente à 45° d'une montagne de face, et qu'il la gravit comme s'il la descendait. Tu es impressionné par leur puissance. Et par l'énergie qu'ils déploient car la course dure plusieurs minutes, jusqu'à ce que vous perdiez de vue l'animal. Si un ours devait te courir après, il te rattraperait en bien peu de temps. Tu te demandes si le bruit de ta moto aurait le même effet qu'un Kamaz. S'enfuirait-il ?

Sacha te parle aussi qu'il y quelques années, étaient passés des motards Polonais. Tu avais lu leur blog, et trouvé beaucoup d'informations sur cette route. A Seymchan déjà, on t'avait parlé d'eux. Il semble qu'à part eux, aucun motard ne soit passé par là. Sauf cette année, deux motards en KTM qui se suivent à deux semaines d'intervalle.

Le soir, vous campez à nouveau près d'une rivière. De l'autre coté d'une rivière, un convoi de camions qui rejoint une base vie depuis une mine d'or. Peu d'échanges entre conducteurs. Le monde des mines semble être à part. Pavel te montre sur la colline avoisinante un ours qui vous observe. Il ne semble pas impressionné par les véhicules à l'arrêt, et il n'est pas pressé de s'enfuir. Il finira par s'écarter tranquillement. A proximité des Kamaz, tu t'endors sans inquiétude sous la tente.

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Dimanche 20 juillet 2014

Alors que tu remontes dans son camion, Sacha te proposes de t'assoir à coté de lui. En souriant, il te parle du rapprochement entre la Russie et la France. Un peu plus tard, il te gratifiera d'un « My friend ». Tu es content de l'évolution de votre relation car tu étais gêné de sentir que ta présence avait été imposée à Sacha sans réelle approbation. Tu es aussi content d'être assis plus confortablement. Mais les discussions restent toujours aussi limitées. Sacha te parle comme si tu comprends tout ce qu'il te dit, alors que tu as vraiment du mal à suivre le fil de ses paroles. Avec Pavel, les choses sont plus simples car ils répètent les choses de différentes manières, en recherchant le vocabulaire que tu connais. Et Pavel n'hésite pas à lancer un ou deux mots d'Anglais parfois.

En début d'après midi, vous rencontrez la neige lors du passage d'un col. Des engins de chantier sont sur place pour tracer la piste dans la neige. Deux hommes vivent là dans une roulotte et l'un d'entre eux est l'ami de Pavel. Vous êtes donc invités pour un thé, et chacun apporte ses gâteaux, ses poissons fumés et autres friandises.

En fin d'après midi, une nouvelle pause à coté d'une rivière. Pavel et Sacha sortent leurs cannes à pêche. En trois quart d'heure, ils auront pêché une douzaine de kilos de poissons. Pavel te dit que cela est peu, qu'il est déçu. Peut être est-ce le début de saison, que les poissons n'ont pas encore pris leur taille normale.

La majorité des poissons sont découpés et mis dans un sceau avec du sel. D'autres sont réservés pour le repas du soir. Tu remarques le couteau de Pavel : un Opinel... Pavel est fier de son couteau qu'il trouve excellent. Il savait qu'il s'agissait d'un produit de haute technologie Française, mais tu ignorais pour ta part que ces produits sophistiqués étaient exportés. Depuis ton arrivée en Russie, tu remarques souvent des produits Français : une bouilloire Tefal, une boîte de conserve Bonduelle, un flacon de « Petit Marseillais »,… et maintenant le fin du fin : l'Opinel.

Vous reprenez la route en soirée, et, comme la veille, Pavel et Sacha conduiront jusqu'à minuit. Tu es impressionné par leur résistance. Le campement du soir est situé auprès de la dernière rivière profonde.... Tu attendais avec impatience le plaisir de retrouver ta moto. Ce sera dès demain matin. Cette journée de passager t'a été bien longue.

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Lundi 21 juillet 2014

Te voilà à nouveau heureux sur la moto. Pavel t'a indiqué que tu auras encore 8 rivières à traverser, mais il doit s'agir de 8 rivières vues d'un Kamaz car les cours d'eau se succèdent. Tu ne les comptes pas. Tu prends beaucoup de plaisir sur cette « route ». Lorsque tu avais 23 ans, tu avais passé 18 mois dans les Aurès, en Algérie, avec une moto, une des toutes premières XT600. Tu étais officiellement enseignant coopérant dans une université, mais ton emploi du temps était tel que tu avais passé l'essentiel de ton temps à parcourir les pistes des montagnes et du désert proche. Tu aimes donc les pistes empierrées, et tu retrouves progressivement certains réflexes d'antan. Il y a toujours les rivières qui t'inquiètent. Mais, petit à petit, tu t'y habitues et tu finis même à prendre plaisir à les traverser. Au fond, il n'y a que des pierres. Sauf que ces pierres sont glissantes, qu'on ne les voit pas toujours, que l'on peut finir par buter sur une pierre plus grosse que les autres. Tu ne crains pas la chute, mais l'immersion de ta moto pleine d'électronique.

Aurais-tu pu faire tout ce chemin seul avec tes bagages et ton bateau ? Probablement pas. En tout cas, tu aurais connu à répétition des situations très compliquées. Tu ignores si tu serais passé, mais le risque de faire chuter la moto dans une rivière était grand. Déchargée, tu conduis la moto comme un jouet. Chargée, c'est souvent elle qui décide et toi qui devient le jouet que l'on secoue.

Pendant ce trajet, tu as surtout profité du camion pour te délester de ta charge. Traverser une rivière à vide n'a rien à voir avec la même traversée chargé de plus de 100kg de bagages. Le fond des rivières varie beaucoup : parfois des gros pierres sur lesquelles on rebondit, et parfois des galets, voire des graviers dans lesquels on s'enfonce rapidement. Souvent, ton pneu usé, sur-gonflé, a eu tendance à creuser dans les graviers. Il s'enfonce, mais un minimum de vitesse et la puissance du moteur suffisent à poursuivre la traversée. Avec la charge, tu serais resté bloqué, ensablé... Pour éviter cela, il t'aurait fallu vingt fois décharger, puis recharger après la traversée. Il aurait aussi fallu dégonfler et prendre le risque de crever... A deux ou trois, les choses auraient pu être différentes vous auriez pu pousser les motos l'une après l'autre. Mais seul... tu aurais vraiment beaucoup souffert.

En fin de matinée, le croisement avec le 180-ème méridien. Le complément du méridien de Greenwich... Celui qui devrait être la ligne de changement de date s'il n'y avait les frontières politiques. Tu observes ton GPS: E179°59,9..' puis W179°59,9..'. Alors que tu attends les camions, tu réalises que ceux ci se sont arrêtés quelques centaines de mètres plus tôt. Tu les rejoints. Un panneau E180°W a été placé un peu trop tôt, mais vous faites la pause près du panneau. Pavel en profite pour faire un peu de mécanique car les petits problèmes arrivent même sur les rustiques Kamaz. Mais ils sont généralement simples à régler.

La route devient belle et large sur une dizaine de kilomètres : vous êtes proches d'une énorme mine à ciel ouvert, et les accès à la base-vie, aux zones d'extractions sont toutes particulièrement bien entretenus. Il y a même un terrain d'aviation qui longe la route. Jusqu'à Egvekinot la route reprend une forme normale, mais c'est désormais une belle section, sans zone particulièrement difficile, si ce n'est les rivières.

L'arrivée sur Egvekinot se fait dans le brouillard et le froid. Tu pensais que le temps y serait doux, tempéré par la mer. Tu auras connu Bilibino, qui se situe au dessus du cercle polaire, avec une température supérieure à 30°, et Egvekinot qui est à quelques centaines de kilomètres plus au Sud par une température d'environ 5°C. La logique météorologique ne suit pas toujours la géographie.

Tu regardes ton compteur kilométrique : 502km. Sur un total de 1050km tu n'auras pas fait la moitié du parcours en moto. Mais tu es heureux et un peu étonné d'être là. En quittant Grenoble, tu pensais que la moto ne tiendrait pas avec toute sa charge. Peut être aurait elle lâché dans cette dernière section, mais vous êtes là, au bout de la route.

Pavel vous laisse, Micha, Nadia et toi au centre ville, près de l'église en construction. Sacha ne vous a pas suivi. Tu es surpris de les quitter ainsi, aussi rapidement. Tu replaces tes affaires sur la moto. Micha et Nadia ont demandé à un passant où l'on pouvait trouver une gotsinitsa. La réponse est « Niet ». Tu es surpris qu'il n'y en est pas dans une ville isolée, et relativement importante. Mais l'homme vous a conseillé de vous rendre à la mairie. Micha et Nadia sont logés par des amis d'amis, mais ils veulent t'aider à trouver un logement.

Micha t'accompagne donc à la Mairie. Vous expliquez ton cas à une secrétaire, puis êtes reçus par l'adjoint au Maire, puis par le Maire. Tu as honte lorsque le Maire te tend la main. La tienne est pleine de terre. Micha vous quitte et la secrétaire qui vous avait accueillis revient parmi vous : elle parle Anglais et prend le rôle d'interprète. Elle t'explique que la gotsinitsa est pleine ce soir, mais que des places se seront libérées dès demain. Les coups de téléphone se poursuivent. Au bout d'un moment, une chambre est trouvée. Avant de quitter la Mairie, il te faut attendre les gardes frontières qui souhaitent vérifier tes papiers.

Tu leur expliques ton voyage, ton bateau,... Ils sont inquiets pour toi. Tu leur dit que tu souhaiterais trouver un pêcheur qui puisse t'accompagner sur une partie du trajet. Mais les petits bateaux ne sortent pas encore de la baie à cause de la glace. La débâcle a été tardive, et la navigation reste dangereuse. Tu ne t'attendais pas à cela. Combien de temps ce blocage va-t-il se poursuivre ? Ils l'ignorent. L'année dernière à la même époque, la débâcle était terminée. En revanche, la baie de Provideniya est ouverte.

Maria, la secrétaire, t'accompagne avec l'adjoint au Maire dans une gotsinitsa. Tu pourras aussi y prendre tes repas. Tu es ensuite guidé jusqu'à un garage où tu peux laisser la moto et son chargement. Te voilà à nouveau pris en charge, et tous tes problèmes potentiels réglés. Maria te laisse son numéro de téléphone en cas de besoin.

La gérante de la gotsinitsa paraît autoritaire, rigide. Mais une fois tout le monde parti, elle se montre attentionnée. Elle prend en charge tes bottes pleines d'eau, et te propose d'utiliser le lave linge. Elle te fournit aussi shampoing et savon... Elle a deviné que tu en avais vraiment besoin.

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Mardi 22 juillet 2014

Si le voyage d'Egvekinot à Provideniya est trop compliqué, il faut te concentrer sur la seconde partie : la traversée du détroit. Tu es décidé à prendre un navire qui t'y emmènes, puis de faire les essais dans la baie de Provideniya plutôt qu'ici. Faire les derniers 350km en mer sera déjà suffisamment compliqué.

Tu te rends à la Mairie pour demander à Maria des informations sur les navires entre Egvekinot et Provideniya. Tu lui proposes aussi de faire une présentation de ton voyage à l'école, comme tu l'as déjà fait à Bilibino. Pour l'école, pas de souci et un rendez vous est pris pour le lendemain. En revanche, les bateaux... il n'en passe pas tous les jours, ni même toutes les semaines. Encore moins pour Provideniya. Tu comprends vite qu'il serait plus judicieux de prendre un bateau pour Anadyr, et de là, de te rendre à Provideniya. Anadyr est la capitale du Chukotka, une sorte de hub pour la navigation. Tu pensais que les bateaux suivaient la côte et s'arrêtaient dans chaque port, mais il n'en est rien.

L'Adjoint au Maire téléphone au port pour toi. Il y a actuellement deux bateaux dans le port, ce qui est exceptionnel. Ils partiront demain matin tous les deux pour Anadyr. Le premier, un porteur de containers ne peut te prendre car il est plein. Tu penses qu'il n'y a pas de cabine pour toi, car ta moto est vraiment petite à coté de ce navire. Vous allez donc avec Maria et l'Adjoint au Maire rencontrer le Capitaine du second bateau : un petit bateau de croisière Russe qui transporte une cinquantaine de touristes. Effectivement, Maria t'avait annoncé qu'il y avait en ce moment des touristes Canadiens en ville, ce qui était tout aussi exceptionnel que ton passage.

Sur le chemin, tu entends quelqu'un qui crie ton prénom. Tu reconnais cette voix : Pavel. Tu es heureux de le revoir, même rapidement. Lui aussi visiblement. Il te dit de lui téléphoner si tu as un problème, et vous vous quittez pour rejoindre le navire.

L'Adjoint monte dans le navire. Alors que vous attendez sur le quai avec Maria, un camion-bus scolaire arrive. Il ramène les touristes. Tu reconnais leur guide : Mille, une américaine qui vit en Alaska qui a été ton intermédiaire avec les autorités du Chukotka. Tu avais vu sa photo sur le site web de l'association pour laquelle elle travaille en Alaska. Tu crois te souvenir que le but de cette association est d'aider à la scolarité des enfants eskimos. Mille t'avait récemment annoncé qu'elle était pour 10 jours au Chukotka, mais tu ne pensais pas la croiser ainsi, sur un quai. Elle ne t'a pas reconnu. Tu n'es pas déguisé en motard, et au coté de l'élégante Maria, elle te prend pour un fonctionnaire Russe.

Descendent ensuite le Capitaine du bateau, un Néo-Zélandais, et l'adjoint au Maire. Le Capitaine est d'accord pour te prendre moyennant paiement. Tu es d'accord avec son offre : tu amènes la moto ce soir à 7 heures, et tu embarques demain matin à 7 heures. Tout est décidé en quelques minutes.

Tu as juste le temps de récupérer ta moto, de dire au revoir à Maria, de refaire ton chargement et de prendre ton repas. La moto est hissée à l'aide de la grue du bateau. Tu commences à avoir l'habitude de la voir ainsi soulevée dans les airs. Le Capitaine te montre ta cabine, et tu repars ensuite à la gotsinitsa.

Tu discutes une dernière fois avec la gérante de la gotsinitsa. Le Chukotka n'est il pas trop difficile à vivre ? Le froid, l'isolement, l'absence de soleil l'hiver ? Au contraire ! Elle est originaire d'Omsk, mais le Chukotka est si beau. Tellement, tellement beau. Avant Egvekinot, elle a passé quelques années dans un village sur la côte Arctique. Elle te montre des photos. Les morses, les ours blancs, les fleurs, tout est si beau au Chukotka... Les parties de pêche avec des amis Chouktches. Elle te fait penser aux expatriés Français qui vivent en Afrique et qui pour rien au monde ne rentreraient en métropole.

Tu regrettes de quitter Egvekinot si vite. Tu aurais souhaité y passer plus de temps. Tu as apprécié l'accueil du personnel de la Mairie, de celui de la gotsinitsa. Tu aurais voulu faire cette présentation à l'école. Te promener davantage dans les rues. Explorer la piste d'Amguema et refaire quelques traversées de rivières pour le plaisir. Là, tu plaisantes ?

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Bilibino

 

Lundi 14 juillet 2014

Le ministère des Sports et du Tourisme du Chukotka, avec qui tu es en contact t'a demandé de te déclarer auprès des autorités en arrivant au Chukotka. Tu as renoncé à le faire à Aniusk car la ville te paraissait trop petite, peu concernée par les arrivées d'étrangers. De toutes façons, tu aurais trouvé les bureaux vides un Dimanche soir.

Tu te rends donc au poste de police, de l'autre coté de la ville. Si en Russie les gens parlent peu Anglais, en Sibérie, ils ne le parlent pas du tout. Pour éviter les malentendus, tu fais celui qui ne comprend rien au Russe. Après quelques essais de discussion, on finit par te guider au bureau des Migrations. Surprise : ce bureau est au rez de chaussée de l'immeuble voisin de ton hôtel. Peut être son unique employé avait-il déjà repéré ta moto. Tu lui montres ton passeport et tes autorisations pour le Chukotka. Il semble contrarié. Problème ? Non, les documents sont complets, tout est bon, mais il te demande à plusieurs reprises quand tu quitteras Bilibino. Tu n'en sais rien, tu es bloqué. Tu comprends finalement que tu as droit à séjourner une semaine dans les villes étapes de ton voyage. Ensuite, tu serais dans l'illégalité si tu restais. Tu aurais mieux fait d'attendre que l'on te contrôle avant de te rendre dans ce bureau. Tu essayes de lui demander comment trouver des informations sur l'état de la route, mais il l'ignore. Personne ne va à Egvekinot depuis Bilibino par la route. Du moins en été. Tu le quittes, en te disant que tu as quelques jours pour te préparer.

Tu as besoin d'une connexion internet, ne serait ce que pour prendre la météo dans les zones que tu vas traverser. Tu te rends dans un magasin pour acheter une seconde carte SIM d'un autre opérateur. Avec ta carte MTS, le téléphone fonctionne mais pas internet. Hier soir, la réceptionniste t'a conseillé de prendre une carte SIM Megafon... Tu en achètes une ainsi qu'un second téléphone premier prix pour rester joignable par Nicolaï. De retour à l'hôtel, toujours pas d'internet. Tu retournes au magasin. On t'explique qu'il est normal qu'Internet ne fonctionne pas. Il y a des moments où cela fonctionne, et d'autres... où rien ne fonctionne. C'est comme pour les routes, la Sibérie a sa définition propre de la normalité. A nouveau, tu demandes à la réception de l'hôtel si pour eux Internet fonctionne. Bien sur que cela fonctionne, mais la réceptionniste du jour est chez un troisième opérateur. Tu te promènes en ville. Tu rentres dans la bibliothèque municipale, la poste : pas d'internet. Internet : « Nieto ». Et toujours rien sur ton téléphone. Tu te décides à retourner au magasin et à prendre une troisième carte SIM. Sur le téléphone de la vendeuse, Internet est accessible mais pas sur le tien. Elle passe plusieurs heures à essayer de comprendre. Elle essaye plusieurs cartes SIM, plusieurs téléphones,... Ton téléphone ? Tu commences à pense que le déverrouillage de ton téléphone effectué à Vladimir est à l'origine du problème. Finalement, tu te décides à acheter un second Smartphone. Vous essayez le premier prix de chez Samsung, et cela ne fonctionne pas. Un Nokia... pas de souci. Tu prends donc le Nokia. Enfin Internet... Tu vas pouvoir récupérer tes mails, prendre la météo, et mettre à jour tes sites.

Tu profites enfin d'internet. Tu laisses la télévision allumée pour regarder les informations. Toujours beaucoup d'images et de commentaires sur l'Ukraine. Souvent de la propagande de bas étage : un homme politique Ukrainien est interviewé et la séquence est interrompue par des images montrant un caméléon, ou une caricature où on lui a rajouté une couronne sur la tête. Tu es surpris par la bassesse du procédé. Sinon, les images tournent en boucle avec des « experts » pour les commenter. Barack Obama semble être la cible de leurs propos.

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Mardi 15 juillet 2014

3 heures du matin. Tu ne dors pas car tu penses aux différentes solutions pour poursuivre. S'il te faut renoncer à la route, il faudrait que tu trouves un moyen de rejoindre Anadyr pour faire des essais sur mer, et peut être poursuivre de là. Peut être l'avion mais tu doutes qu'il y ait sur Bilibino des avions assez gros pour embarquer ta moto. Et encore faudrait-il que la compagnie aérienne accepte les « dangerous goods ».

Le téléphone sonne : c'est Bob de Irkutsk. Tu n'es pas vraiment surpris par l'heure. Plus grand chose ne te surprend en Russie. Il te demande où tu es, si tu as besoin d'aide. Effectivement, tu pourrais faire appel à ses qualités de traducteurs si besoin. Il te dit aussi qu'il est saoul depuis trois jours, qu'il boit trop. Un mal très répandu en Russie. Ton projet l'impressionne, et lui donne envie d'avoir lui même des projets, de sortir de l'alcool. Tu serais heureux qu'il arrête, heureux qu'il ait des projets. Et fier si ton projet déclenche cette décision.

Depuis que tu es en Russie tu prends conscience petit à petit des ravages de l'alcoolisme. Il est encore plus répandu ici, au Chukotka. Le phénomène existe en France, mais il est ici cent fois plus grave, cent fois plus développé. Un drame. Les gens ne boivent pas en soirée, mais de manière continue.

Bon, il te faut préparer ta journée... Quelques courses, le plein d'essence, quelques outils en cas de crevaison, et tu partiras en reconnaissance sur la route d'Egvekinot. Tu aimerais faire les deux cents premiers kilomètres pour arriver à la première grosse rivière. Comprendre la piste, et comprendre ces rivières... Ensuite tu rentreras et décideras. Cela te permettra aussi d'évaluer ta consommation d'essence. Tu ne connais pas l'impact du passage au « 80 ». Ta moto est faite pour rouler en « 95 ».

10h30. Ton sac est prêt. Tu passes à la banque pour retirer du liquide avant d'aller faire le plein. Ton voisin dans la queue pour le distributeur de billet te dit « motorcycle » en voyant tes bottes. « Da. KTM ? Da. » La ville est petite et ta moto n'est pas complètement passée inaperçue. Il te dit qu'il est aussi motard, qu'il a une KLR 600. Tu avais croisé une moto qui ne s'était pas arrêtée. Peut être lui... Vous poursuivez la conversation. Tu lui expliques ton souci de route. Il pense que la route de Pevek devrait ouvrir (ce qui signifie « des passages de camions ») d'ici quelques semaines. Il pause la question à une autre personne dans la queue, puis revient vers toi : « Aujourd'hui. ». Des camions commencent à faire le trajet Bilibino-Pevek aujourd'hui! Il t'explique qu'il y a 5 rivières profondes jusqu'à l'embranchement. Qu'en dehors des rivières, la piste n'est pas particulièrement mauvaise. Pour passer les rivières, il faut attendre devant le gué qu'un camion arrive et mettre la moto dans la benne... Cela semble être la procédure normale.

Vous allez voir ta moto. Vladik pense que tu es bientôt en bout de voyage et te propose de la racheter. Tu lui montres la vidéo pour lui expliquer que tu aimerais n'être qu'à la moitié... Il comprend ton projet. Il te demande une copie de la vidéo sur une clé USB. Tu voudrais savoir si tu pourrais t'arranger avec un camion pour te porter de l'essence. Il doit partir mais te rappelle dans une heure.

Tu remontes dans la chambre pour écrire ces mots. En dix minutes beaucoup de choses ont changé. Tu n'en connais pas encore le détail, mais voilà des très bonnes nouvelles. Ton ange gardien a eu une bonne idée de t'envoyer à la banque.

Une heure plus tard, Vladik te rappelle. Il est à l'entrée du bâtiment de l'hôtel avec un cycliste. Tu comprends que ce cycliste, Pavel, est un chauffeur d'un Kamaz qui doit se rendre à Egvekinot. Tu ne comprends pas beaucoup plus... Pavel appelle quelqu'un avec ton téléphone. Un collègue ? Cinq minutes passent et arrive Costa, qui parle très bien Anglais. Costa joue le rôle d'interprète : Pavel partira Vendredi et peut prendre tes affaires en charge. Il peut même mettre la moto dans son camion. Tu te vois déjà à Egvekinot alors qu'il y a une heure, cela relevait de l'exploit.

Pavel vous laisse et vous poursuivez avec Costa et Vladik. Costa t'explique qu'il voyage avec sa compagne, un ami et un couple de Moscou. Vous aller donc tous ensemble retrouver les amis de Costa. Ils sont logés dans un gîte aménagé pour les voyageurs de passage. Un lieu qui date de l'époque soviétique et qui a conservé sa fonction grâce à des habitants de la ville. Tu peux les y rejoindre mais tu viens de renouveler la location de ta chambre pour deux nuits supplémentaires.

La discussion continue. Tu apprends beaucoup de Vladik qui, chercheur d'or et motard, connait très bien la région, et aussi de Costa qui a souvent voyagé au Chukotka. Déjà le parcours : il y a encore une longue série de gués à traverser juste après l'embranchement, dont certains profonds. Les ours ? Il y en a beaucoup le long de cette route. Sont-ils agressifs ? Non, sauf lorsqu'ils sont blessés, ou lorsque l'on menace un jeune. Costa, qui a souvent été en relation avec les autorités du Chukotka pense que tu n'arriveras pas à négocier un départ plus proche du détroit que Provideniya. Beaucoup d'informations.

Enfin, Costa t'explique que tu as probablement provoqué certains malentendus : Costa devait accompagner pendant ce voyage un motard Français avec une KTM, la même moto que toi... Il est Breton, s'appelle Philippe Herbs. Il a eu des soucis mécaniques en cours de voyage et a pris plusieurs semaines de retard. Vous êtes donc deux motards, presque jumeaux, à vous rendre à Egvekinot cet été. Costa avait demandé à Pavel son support pour le trajet d'Egvekinot. Il avait aussi prévenu la compagnie de navigation du Kolyma, et il pense que tu as pris la place de Philippe qui était attendu au moment où tu es arrivé. Tu n'es pas certain que ce soit effectivement le cas, mais en tout cas, Philippe devrait râler car il présente son projet comme le premier trajet en moto de France au Chukotka. Tu espères le rencontrer, si tu n'as pas déjà quitté Egvekinot lors de son arrivée.

Danila et Costa t'expliquent que plusieurs personnes leur avaient parlé de ce Français qui était à plusieurs endroit en même temps. Certains connaissaient ton blog, et Danila avait fini par comprendre que vous étiez deux. Deux à vous suivre, chacun ignorant l'existence de l'autre. Enfin, tu te démarques un petit peu par le fait que tu voudrais pousser plus loin avec ton bateau. Mais c'est encore loin d'être gagné.

Vladik t'a proposé de faire une présentation de ton voyage aux enfants de l'école. Ou plutôt aux enfants du « centre aéré » car les cours sont terminés, mais l'école accueille toujours les enfants en proposant des activités variées.

Tu te retrouves donc face à une cinquantaine d'enfants et quelques enseignants. Costa assure la traduction. A la fin de la présentation, une séquence de questions. Pratiquement tous les enfants lèvent le bras pour poser des questions, souvent très opportunes. Tu es surpris de leur vivacité ainsi que par la qualité, la variété et aussi la liberté de leurs questions. Peut être est ce le contexte hors scolaire, mais ces enfants te paraissent particulièrement ouverts.

Tu es soumis ensuite à une épreuve que tu n'attendais pas : des autographes... Peut être le souvenir d'images de la coupe du Monde de football, mais après avoir signé un premier autographe, c'est la ruée : tous les enfants veulent ta signature. Et certaines petites filles veulent leur photo à coté de toi. Te voilà devenu d'un seul coup une vedette à Bilibino.

Vous vous rendez ensuite au Musée. Seulement deux salles, mais des sujets variés qui tournent surtout autour de la paléontologie et de l'ethnologie. Aussi une présentation de la faune locale, ainsi qu'une série d'objets et de minéraux liés à la recherche minière. Principalement de l'or. Tout le personnel du musée vous accueille. La visite dure longtemps. Elle se termine par l'atelier de deux sculpteurs Tchouktches. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un touriste à Bilibino.

Une journée riche. Pour finir, Vladik te propose ainsi qu'à Danila, l'ami de Costa d'aller voir ses engins amphibies. Il s'agit d'anciens transports militaires blindés qu'il vient d'acquérir. Le premier fonctionne et le second est en cours de réfection. Tu es surpris qu'un jeune homme ait acquis de tels engins. Mais Vladik a gagné à la loterie : il a trouvé une pépite d'environ 1,5kg d'or. De quoi lancer une activité plus industrielle.

En te couchant, tu restes surpris de la tournure de la journée. Au lieu de 400km de mauvaises pistes, tu auras fait des rencontres, appris plein de choses et trouvé la solution pour poursuivre.

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Mercredi 16 juillet 2014

Tu retrouves Costa, Danila et leurs amis en début d'après midi. Ils doivent participer à la réunion d'une association des peuples indigènes et t'invitent à venir avec eux. La salle est dans le bâtiment voisin. Jeima, la compagne de Costa est elle même originaire d'une tribu de Sakhaline. Ils veulent échanger sur leur coutumes respectives.

Bilibino est une ville récente créée pour servir de base à la recherche aurifère. 90% de la population est d'origine Européenne. Les mines d'or ont attiré beaucoup de monde, et la ville est devenue un centre de vie avec ses écoles, ses magasins, ses administrations, et même sa centrale nucléaire. Il se dit que c'est la ville la plus chère de Russie et les fonctionnaires y ont une prime spéciale pour compenser le coût de la vie. Les aborigènes sont donc très minoritaires en ville.

La région était à l'intersection de deux zones de peuplement : les Evenses à l'Ouest et les Tchouktches à l'Est. Les Tchouktches sont majoritaires. Les tribus Tchouktches sont elles mêmes divisées en deux groupes : les pêcheurs de baleines, phoques et autres morses sur les côtes, et les éleveurs de rennes dans les terres. Ces derniers sont nomades et leur mode de vie ressemble un peu à celui des Mongoles. Les différentes communautés étaient en relation régulière et échangeaient leurs produits.

La période stalinienne a été très dure pour les peuples aborigènes : sédentarisation et déportation. Les modes de vie traditionnels ont été abandonnés, le chamanisme condamné, et l'alcoolisme est souvent devenu l'occupation principale. Tu as vu avant de partir un film de Fréderic Tonolli sur le sujet et lu aussi des livres de Youri Rytkhèou.

Les personnes participant à la réunion sont d'origines variées. Un couple est originaire d'une région située le long du Kolyma où l'on rencontrait aussi bien les tribus Yakoutes, que les Evenses et les Tchouktches. Ce couple parle donc plusieurs langues en complément du Russe. Aussi une enseignante pour la langue Tchouktche, et une autre enseignante qui travaille avec les tribus nomades dans une école elle même nomade.

Jeima lit des poèmes qu'elle a écrit. Une dame lit à son tour des poèmes Tchouktches. Costa montre des films montrant la vie de la tribu de Jeima, ainsi que des films plus anciens sur Sakhaline.

Sakhaline est à seulement une quarantaine de kilomètres d'Hokkaïdo, et peu de choses distinguaient les populations de ces deux îles. De même, peu de choses devaient distinguer les peuples de Sakhaline et ceux de la région de l'Amour, l'Amour qui est proche du Kolyma, qui est proche du Chukotka, qui est lui même proche de l'Alaska... Tous ces peuples aborigènes étaient voisins. Longtemps le Chukotka n'a intéressé aucun empire, les frontières n'existaient pas et l'Amérique était alors reliée humainement à l'Eurasie. Les Tchouktches pouvaient alors traverser librement le détroit de Bering, sans passeport.

Une enseignante vous apprend quelques mots de Tchouktche. Tu as déjà fort à faire avec le Russe et tu ne les retiendras pas. On t'apprend aussi que le principe des associations aborigènes a été lancé il y a seulement une vingtaine d'années par un Français, Charles Weinstein. Que ce linguiste a aussi travaillé sur un dictionnaire Tchouktche-Français-Anglais.

A la fin de la réunion, tu reçoit en cadeau un DVD sur le Chukotka. Déjà hier, les enseignants de l'école t'avaient fait un cadeau. Un enfant gâté.

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De Zyrianka à Bilibino

 

Mardi 8 juillet 2014

Tu fais tes adieux à l'équipage et le capitaine t'accompagne à ton nouveau bateau hôte. Il s'agit d'un remorqueur qui pousse une longue barge remplie de 350 tonnes de charbon. La barge est presque pleine, mais il faudra encore quelques heures pour finaliser le chargement.

A ton arrivée, tu sens que l'ambiance n'est pas la même que celle de la péniche. Tu aurais même l'impression que les passagers ne sont pas forcément les bienvenus. Peut être êtes vous trop nombreux ? Tu essayes d'engager la conversation, mais les réponses sont rapides. Tu n'insistes pas.

En début d'après midi, le capitaine arrive. Tu le connais : c'est l'homme qui avait rendu visite à Anatole sur la plateforme de dragage. Une bonne nouvelle ! Ce capitaine débonnaire t'avait semblé très sympathique.

Une fois le charbon chargé, tu évoques la moto... Tu fais bien car ils allaient l'oublier. La barge et le remorqueur se déplacent alors vers un quai accessible pour la moto, tu vas la chercher, et la moto est chargée par une grue sur la barge en présence de Nicolaï, l'ex champion de moto sur glace.

La barge est alors ancrée au milieu du fleuve, et le remorqueur rejoint la berge après être allé faire le plein de gasoil.

Le soir, alors que tu es dans le poste de pilotage avec le capitaine, un ancien second du navire qui depuis est devenu à son tour capitaine passe rendre visite. Tu lui demandes ce que signifie la phrase inscrite sur son teeshirt, avec un gros C.C.C.P.. Tu comprends « Enfant de l'URSS ». Tu lances le mot « nostalgie », et ton interlocuteur acquiesce. Il te parle aussi de l'Ukraine, des fascistes, de l'Allemagne, de Dachau… Le capitaine réagit à son discours : « propagande, propagande! ». Le capitaine est Tartare. Il semble plus méfiant vis à vis des messages officiels.

Petit à petit, tu comprends un peu mieux la Russie. Zyrianka n'est d'ailleurs pas la Russie. Plutôt une île demeurée soviétique malgré les changements. Ici, les bateaux, tous construits pendant la période soviétique naviguent de la même manière qu'il y a 30 ans. Les grues, l'organisation, le club de sport de l'entreprise, tout date de la période soviétique. Contrairement au reste de la Russie le système a pu se maintenir grâce aux mines. Les villes isolées, les bateaux, les grues... tout reste en service pour servir les mines d'or. Si ce n'étaient les téléphones portables omniprésents, tu croirais être remonté dans le temps.

Si certains habitants fuient ce coin perdu, d'autres viennent pour y trouver du travail. Tu discutes avec 4 ou 5 dockers Arméniens. Le capitaine de la péniche et son épouse sont Ukrainiens,... On peut travailler à Zyrianka si on cherche un emploi. Malgré ses difficultés, Zyrianka reste une petite ville plutôt riche pour la Russie.

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Mercredi 11 juillet 2014

Le capitaine t'avait dit que vous partiriez vers 4h du matin, puis 7-8 heures, mais c'est plutôt la fin de matinée. Et encore : une longue pause pour le plein de gasoil de la barge et vous n'êtes pas réellement en route avant 2 heures de l'après midi. Tu profites de la proximité de la ville pour essayer désespérément de mettre à jour ton site en Anglais, mais internet est trop capricieux. Tu n'arrives à rien, malgré des heures de persévérance stérile.

Dans la cabine de pilotage tu retrouves Nicolaï que tu avais rencontré à Seymchan. Tu te doutais qu'il embarquerait car il se rend lui aussi à Aniusk. Et tu comprends que l'équipage trouve que vous êtes un peu trop de passagers car le capitaine a aussi invité un vieil homme, un pêcheur Iakoute.

La première heure de navigation est compliquée. La barge est longue et lourde, et donc peu manoeuvrable. C'est souvent elle qui entraîne plutôt que le remorqueur. Il lui serait impossible de monter plus en amont de Zyrianka, là où le fleuve est plus étroit. La moitié haute du fleuve est ainsi réservée aux péniches plus petites. Pour l'instant, une pause a été effectuée pour consolider la liaison entre le remorqueur et la barge. Il y avait du jeu, et tout tapait fort à chaque virage.

Vous avancez beaucoup plus lentement que la péniche. Entre 10 et 15km/h avec le courant, alors que la péniche naviguait autour de 25km/h. Il vous faudra beaucoup de temps pour rejoindre Aniusk... Au moins 4 ou 5 jours si ce n'est pas plus.

Tu passes ton temps entre la cabine et le poste de pilotage. Tu n'y restes jamais très longtemps à cause de la fumée. Tout le monde fume sauf Dima, un jeune mousse d'une vingtaine d'années et Nicolaï, l'autre passager avec qui tu partages une cabine. Costa, le second, allume cigarette sur cigarette.

Costa est souvent à la barre. Mais le capitaine la laisse facilement à tous les membres de l'équipage. Sur la péniche, rares étaient les moments où ce n'était pas le capitaine qui barrait. Et encore, il pouvait la laisser à Constantin uniquement lors d'une section rectiligne. Ici, même le jeune Dima est laissé seul à la barre, dans le poste de pilotage.

L'organisation du bateau est plus anarchique que celle de la péniche, mais tout fonctionne. Les membres de l'équipage interviennent au plus vite dès qu'un problème se présente. Et comme sur la péniche, des problèmes il y en a.

Le fleuve est de plus en plus large, mais les trajectoires pas forcément plus simples. Parfois, il faut zigzaguer d'une berge à l'autre, toujours en suivant la signalisation ou les itinéraires tracés sur la carte. Les petits hors-bord ne se posent pas ces questions de profondeur, et tracent en général une ligne droite au milieu du fleuve. Tu enregistres quand même les traces GPS du navire pour conserver une référence.

Tu discutes avec Nicolaï. Tu comprends qu'il est chauffeur pour une compagnie minière dans la région de Pevek. Il t'informe de l'état des pistes. Contrairement à ce que t'avait dit Alek, la route entre Bilibino et Pevek n'existe pas. Du moinis en tant que route. Il s'agit donc d'une piste sur laquelle on traverse de nombreuses rivières, souvent profondes. Seuls les gros Kamaz y passent, et encore, avec souvent des difficultés. Mauvaise nouvelle. Tu espérais avoir trois cents kilomètres tranquilles, mais c'est raté. Il te dit aussi que rares sont les camions qui font le trajet de Bilibino à Egvekinot. Peut être un tous les 10 jours.. Donc en cas de problème, il faut que tu sois capable de tenir au moins ce temps.

Tu ne sais pas encore comment tu feras. Tu verras à Bilibino. Nicolaï te dit qu'il donnera des coups de téléphone pour toi. Peut être à des collègues camionneurs... Tu ne comprends pas ce qu'il veut te proposer mais tu verras bien. Une solution qui te conviendrait bien serait de te faire porter, ou au moins de porter ton essence, sur la première portion commune avec la route de Pevek. Les fameux trois cents kilomètres pour lesquels Nicolaï t'a confirmé qu'il y avait bien 8 rivières à traverser... Des rivières avec de la profondeur et du courant.

En fin de journée, alors que tu es dans la cabine, Nicolaï vient te chercher : il y a un ours sur la berge ! Les Russes parlent beaucoup des ours, mais ils sont plutôt rares. Tu verras celui-ci de très loin, avec des jumelles. Tu le devineras plutôt.

A nouveau, on te rappelle une heure plus tard pour voir un élan. Là, c'est le branle bas de combat : on met la barque à l'eau, et deux marins armés de fusils foncent sur la proie. Leur moteur fait tellement de bruit, que la bête s'enfuira bien avant leur arrivée. Tu es plutôt satisfait de la conclusion.

Une demi-heure plus tard, le bateau s'immobilise. Tu montes au poste de pilotage. Nicolaï t'explique qu'ils sont retournés tuer l'élan. Effectivement, ils reviendront un peu plus tard avec le corps d'un jeune élan de deux ans. La bête est hissée sur le pont et dépecée. Tu ne resteras pas assister au spectacle. Tu es un citadin sensible. Tu comprends désormais pourquoi il y a tant de viande dans les plats que Nelly cuisine.

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Jeudi 10 juillet 2014

A 8 heures, tout le monde dort sauf Nelly la cuisinière et aucune trace de boucherie sur le pont. Ils ont du travailler tard dans la nuit pour découper la bête. Vers 8h30, Costa et Dima remettent le bateau en marche. Les autres arriveront petit à petit, parfois en se frottant le crâne. Le Capitaine ne sera pas visible avant midi.

Tu ne fais pas grand chose, mais le temps passe. Tu ressens le manque d'activité sportive. Même la marche est impossible sur ce bateau. Tu manges, fais la sieste, passes un moment dans le poste de pilotage, et retournes manger.

Depuis Zyrianka, les cabanes de chasseurs ou de pêcheurs sont plus nombreuses. On en voit désormais au moins une toutes les heures. Ce doit être encore une autre histoire que la vie de ses pêcheurs. Si l'isolement est pesant dans les villes le long du fleuve, qu'est ce que ce doit être pour ces gens.

Le fleuve est aussi plus large, mais il reste des pièges. La carte montre des îles que l'on ne voit pas avec le niveau d'eau actuel du fleuve. Il faut alors naviguer entre elles en suivant scrupuleusement le tracé indiqué pour éviter l'échouage. Lors de l'une de ces manœuvres, le bateau frottera et c'est le courant qui entraîne la barge qui vous décollera du banc de sable. Le capitaine t'indique que le tirant d'eau de la barge est seulement d'1m60, celui du remorqueur de 1m70. Le fleuve n'est vraiment pas profond par endroit. Et ces navires sont en équilibre bien instable.

Tu connais un peu mieux les membres de l'équipage. S'ils sont peu bavards avec toi, c'est que ton niveau de Russe est bien insuffisant. Tu montres ton livre de voyage à Nelly la cuisinière et tu as droit à un nouveau « Romantik ». Tu le montres aussi à Dima et au Capitaine. Tu as bien fait d'emporter ce livre.

Alors que tu écris ton adresse, ton web et ton mail sur un papier pour le Capitaine ainsi que pour le champion de moto sur glace qui te les a demandés, le capitaine descend dans sa cabine. Il remonte avec un passeport, déchire la page d'identité et te la donne... Le passeport n'est plus valable, mais tu restes surpris et touché par le geste. Tu te dis que les romantiques doivent être rares par ici et que tu as droit à des considérations particulières.

En fin d'après midi, le bateau est ancré en face de la petite ville de Srednekolinsk. Vous y passerez la nuit. La barque hors-bord est mise à l'eau, et tout le monde va faire une balade à terre. Tu te promènes avec Dima qui te fait faire le tour des magasins. Marcher te fait du bien. Tu achètes des bouteilles de vin Français pour l'équipage, ainsi qu'une bouteille de Cognac pour le Capitaine et une boîte de chocolats pour Nelly. Il t'a fallu du temps pour trouver du Cognac Français... Tu ignorais que tant de pays produisaient du Cognac.

La ville est petite, poussiéreuse. Tu vois des jeunes filles, toutes avec un téléphone mobile à la main. A nouveau un musée, un hôpital, un bâtiment administratif … Beaucoup de petits magasins. Tu voulais aussi acheter des fruits mais à chaque fois Dima te les déconseille. Ces fruits sont là depuis trop longtemps! Tu reviendras sans fruit.

Retour au bateau, tu passes à nouveau des heures à tenter une connexion sur internet. Tu arrives tant bien que mal à lire une fois tes emails, mais cela s'arrête là. Tes blogs resteront probablement figés pour longtemps. Quant aux photos, tu attendras le retour pour les télécharger. Seul le téléphone fonctionne, et tu peux prendre des nouvelles des tiens par SMS. Tu en profites, car il n'y aura plus de téléphone non plus dès que vous vous serez éloignez de la ville.

Nicolaï est l'un des derniers à rentrer à bord. Il ramène pour l'équipage des poissons fumés. Il en place un sur ta table de nuit. L'odeur ne tarde pas à envahir la cabine et tu l'enfermes rapidement dans un sac plastique. Alek t'avait fait exactement le même coup la semaine dernière. Les Sibériens sont des grands amateurs des poissons fumés, et tous deux pensaient vraiment te faire plaisir.

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Vendredi 11 juillet 2014

L'équipage est allé faire quelques courses. De toutes façon, une épaisse couche de brouillard vous immobilise. Vous partirez en début d'après midi. Aniusk est à deux jours, et tu n'es plus pressé. Tu prends chaque jour comme il vient.

Tu discutes aussi avec Nicolaï de la suite de ton parcours. La piste entre Bilibino est très compliquée, et il pense que ce n'est pas possible en moto. Des motards polonais l'ont pourtant déjà faite, mais ils étaient plusieurs. Cela change la donne dans les rivières profondes. Tu sais que ta seule chance est d'utiliser ton bateau et ta combinaison sèche pour passer ces rivières. Ce ne sera pas non plus très simple, mais tu penses que c'est faisable. Cependant, il reste toujours le problème de l'essence. Il te faut porter au moins 60 litres. Tu dois arriver à 50 litres si tu remplis tes réservoirs et tes poches en caoutchouc. Ensuite, tu peux placer facilement dans le sac du bateau 4 bouteilles plastiques de 2 litres chacune. En remplissant un peu plus les poches, tu atteins les 60 litres. Porter 60 litres est faisable. Mais tu n'auras pas vraiment de sécurité. Enfin, un tiers de la route est effectivement commun avec celle de Pevek, et tu essayeras de trouver un camion qui pourrait t'aider sur cette partie du chemin.

Tu es parti en sachant que tu n'étais pas prêt, mais qu'il fallait profiter de la fenêtre estivale ou bien attendre une année supplémentaire. Ton parcours est avant tout une reconnaissance. Si tu trouves un ou deux compagnons tentés par le projet, vous ferez le voyage en autonomie à l'été 2016. Pour l'instant, il s'agit d'avancer, pas de prendre trop de risques.

Pour descendre le Kolyma, tu sais maintenant qu'il te faut absolument protéger la courroie. Aussi qu'il convient d'être au moins deux à cause des risques de crevaison sur le fleuve. Un deuxième bateau pourrait alléger et remorquer, l'autre si les choses tournaient mal. En revanche, un bateau seul avec un flotteur crevé au milieu du fleuve serait en grande difficulté. Tu espères revenir à plusieurs, mais pour l'instant, il convient de continuer à apprendre. Et si parmi tes lecteurs quelqu'un est tenté par l'aventure, il te fera signe.

Le bateau ne s'arrêtera dans la nuit que pour une rapide partie de chasse à l'élan. Cette fois-ci, Costa et Micha reviendront bredouilles. Tu parles de « nuit », mais cela fait bien longtemps que tu n'as plus vu l'obscurité. Le soleil tourne autour du bateau, mais ne se couche jamais. Vous êtes aujourd'hui à 68° Nord de latitude, ce qui correspond à l'extrême Nord de la Norvège. Vous approchez de l'embouchure du Kolyma, dans l'océan Arctique. Quant à la longitude, vous vous situez à mi-chemin entre l'Australie et la Nouvelle Zélande. Et le Bering est encore loin.

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Samedi 12 juillet 2014

Vous devriez arriver demain à Aniusk. Tu profites de ta dernière journée pour faire un peu d'entretien sur la moto. Tu finis par sortir les tubes de fourche. Le droit ne doit plus avoir du tout d'huile, et il doit rester au gauche les deux tiers de ce qui lui faudrait. Le gauche s'était mis à fuir le lendemain de la fuite du droit. Une fuite moins importante.

Alors que tu t'apprêtes à simplement les nettoyer, Nicolaï te dit qu'il te faut de l'huile dans le tube droit. Tu le savais, mais tu y avais renoncer car tu préfères réserver ton huile moteur au moteur. Tu essayes de lui expliquer... « Non, pas d'huile moteur, huile pour Diesel! ». Il demande à Micha qui vous regardait du haut du poste de pilotage de l'huile destinée au moteur du bateau. Micha descend dans la salle machine et revient avec un seau plein d'huile. Voilà qu'ils démontent ensemble les bouchons des tubes. Ils ont l'air tous les deux de bien savoir ce qu'ils font. En tout cas mieux que toi. Tu en aurais ajouté au hasard, alors qu'ils ont des repères bien précis pour connaître le volume nécessaire. Ils s'y reprennent à deux fois après avoir fait circuler l'huile, et referment le tout. Comme s'il faisait cela tous les jours. En cinq minutes, tout est fini.

Tu n'aurais pas penser ajouter spécifiquement de l'huile pour moteur diesel, mais elle doit être plus fluide que l'huile pour moteur essence, plus proche de l'huile de fourche. Probablement une recette locale. Et les huiles utilisées en Sibérie doivent être de toutes façon plus fluides pour s'adapter au froid. Michel et Loïc t'avaient tous deux conseillé de rajouter de l'huile moteur à défaut d'huile spéciale fourche. Donc celle-ci fera très bien l'affaire pour tenir jusqu'à l'océan.

Une fois la partie de mécanique terminée, vous collez avec Dima un sticker « *** I am Siberian*** » qu'il t'avait offert la veille. Tu es fier du cadeau.

En début d'après midi, vous passez au large de Kolinskoe, une très petite ville que tu avais repérée sur la carte. Tu demandes au Capitaine s'il y a de l'essence... Il rigole de la question, mais oui, il y a une station essence. En revanche, ton opérateur téléphonique n'a aucune antenne sur place. Tu notes ces informations pour plus tard...

Chaque jour le Kolyma devient plus large. Il y a toujours des passages délicats dans lesquels il faut suivre précisément le tracé sur la carte. Ces difficultés ne concernent pas les petites embarcations. Elles peuvent sans inquiétude tirer des grandes lignes droites.

Une halte pour acheter des poissons. Les baraques des pêcheurs sont nombreuses. Enfin, il y en a une tous les 20 km environ. Chaque poisson pèse deux ou trois kilogrammes. Des « Tchirr ».

Tu discutes à nouveau avec ton voisin de cabine, Nicolaï. Tu comprends désormais qu'il te propose de passer des coups de fils pour trouver un camion qui irait sur Egvekinot ou Pevek, et que s'il n'en trouve pas, il pourrait t'accompagner lui même. Il ne serait pas simplement chauffeur mais propriétaire de son camion. Tu as encore des progrès à faire en Russe. Toujours est-il qu'il te propose des solutions bien sécurisées. Comme de toutes façons, tu n'auras pas fait toute le voyage en autonomie, tu n'es plus à une tricherie près. Sauf que tu as aussi envie de faire de la moto, et que faire 1100km dans un camion est moins plaisant. Tu as encore 2 ou 3 jours pour y réfléchir.

Une autre bonne nouvelle qui vient de Nicolaï : à Bilibino, Internet fonctionne! J'imagine que l'on a pas les mêmes standards de qualité, mais si tu peux mettre tes sites webs à jour, ce serait vraiment bien.



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Dimanche 13 juillet 2014

Le capitaine a à nouveau une panne d'oreiller. Vous arriverez donc en fin d'après midi à Aniusk plutôt qu'en fin de matinée. C'est la vie.

Micha qui est passé sur la barge t'informe qu'il y a une bonne flaque d'huile sous ta fourche. C'était à prévoir. Peut être aurais tu du tenter un démontage plus en avant, mais tu craignais d'être bloqué faute d'outil spécial. En tous cas, cela ne devrait pas te gêner pour conduire.

Vous avez quitté le Kolyma pour remonter la rivière qui mène à Aniusk. La rivière est profonde, et la navigation ne pose pas de problème particulier. Le courant est aussi un peu moins fort que sur le Kolyma et vous avancez quand même à 8 km/h de moyenne alors que vous étiez à 15 sur le Kolyma. Le courant est plus faible sur cette rivière.

A nouveau Nicolaï te parle de la difficulté de se rendre de Bilibino à Egvekinot. Aujourd'hui, il pense que c'est impossible. Pas de route! Il cherche à atteindre ton moral. La chaleur actuelle doit faire fondre la neige des montagnes et faire monter le niveau d'eau. Bien sûr, la pluie ne serait pas mieux. Dans tous les cas, tu te rends à Bilibino, et tu verras bien pour la suite. Il se peut que tu y passes effectivement plus de temps que prévu mais tu serais déjà bien heureux de pouvoir marcher. Tu as besoin d'espace.

Les dernières heures sont longues. Vous voyez Aniusk tout proche, à quelques kilomètres, mais vous avancez lentement, et la rivière fait une suite de lacets avant d'arriver.

Nicolaï t'a proposé de se rendre avec toi à Bilibino, et de t'héberger. Tu découvres qu'il habite à Bilibino. Il passe des coups de fils pour trouver un véhicule qui le conduirait d'Aniusk à Bilibino mais il n'en trouve pas. En revanche, il te confirme que les routes d'Egvekinot et de Pevek sont fermées, inutilisables. Ce n'est pas vraiment une surprise. Tu penses quand même te rendre à Bilibino et voir sur place.

Rapidement, Dima pose la question « comment descendre la moto de la barge ? ». Alors que l'on approche enfin du port, tu aperçois trois autres barges, toutes pleines de charbon, en attente de déchargement. A plus d'une journée pour décharger chaque barge, votre tour ne sera pas avant la fin de semaine. Mais rapidement Costa et le Capitaine ont la solution : « No problem ». Vous approchez du quai qui est constitué d'une ancienne barge remplie de sable. Les barges sont au même niveau. Tout l'équipage arrive alors pour faire descendre la moto en la portant. Et te voilà sur le quai.

Comme la barge doit quitter le quai, le capitaine et l'équipage te font leurs adieux. Nicolaï prend rapidement ton numéro de téléphone et remonte sur la barge. Tu n'as pas eu le temps de prendre le sien. Il n'a pas trouvé de véhicule pour le conduire à Bilibino. Le capitaine te dit qu'ils resteront 7 jours à Aniusk, donc si tu décides de retourner à Zyrianka...

Tu as quitté tout le monde de manière précipitée. Lorsque tu as sollicité le capitaine de la péniche à Seymchan, tu pensais que le transport était naturellement payant. Tu as vite compris que tu étais invité et tu n'as pas osé parlé de rémunération. Il en a été de même avec Lidar, le capitaine du remorqueur. Tu as été logé, nourri et transporté pendant une dizaine de jours aux frais de ces navires. Sans compter les opérations de chargement et de déchargement. Tu auras sollicité l'aide de beaucoup de monde. Et tu restes impressionné par leur générosité.

Tu n'avais pas vraiment réfléchi à ce que tu ferais une fois à terre. Tu pensais que Nicolaï serait avec toi, et que tu suivrais. Donc que faire ? Il est 17 heures passées. Te voilà sur un quai avec toutes tes affaires. Partir ce soir sur Bilibino ? Pas vraiment de risque de se faire prendre par la nuit car elle n'arrivera pas avant plusieurs semaines. Tu sais qu'il y a une Gotsinitsia à Bilibino, et tu as envie de rouler. Tu as besoin de bouger. Tu pars donc pour Bilibino.

La route est belle. Au début de la forêt, mais différente de celles que tu traversais jusque là : les arbres sont beaucoup plus espacés, on pourrait passer en moto entre eux. Et puis, progressivement, des zones sans arbres. Un début de toundra. Et enfin, la montagne. Une belle montagne, majestueuse, de beaux paysages. Tu savoures le trajet.

Dans les montagnes, tu vois l'ombre et entends les cris d'un rapace qui te survole par l'arrière, puis pique sur toi à plusieurs reprises en prenant soin de ne pas approcher trop près. Tu devrais quand même lui paraître plus gros. Heureusement, le bruit de ton pot d'échappement ne doit pas particulièrement le rassurer. Un accueil un peu agressif et tu accélères pour faire encore davantage de bruit et t'éloigner.

Les Sibériens disent qu'il s'agit d'une route « normale ». Il faut surtout faire attention aux trous. L'ajout d'huile dans la fourche fait que tu ressens davantage les chocs dans les bras. Mais peu de sable et peu de graviers. Tu croises en tout une dizaine de véhicules. Tu roules tranquillement : 3h30 pour faire les 250 km.

Arrivé à Bilibino, un cycliste te guide jusqu'à une Gotsinitsa. On te propose tout d'abord une chambre à 100 euros. Ce doit être du grand luxe. Finalement, la réceptionniste te trouve une chambre à moitié prix. C'est encore cher, mais avec ton volume de bagages, tu évites les chambres partagées.

Bilibino comme Aniusk connaissent un grand fléau : les moustiques. Si l'anti-moustique les perturbe, ils ne renoncent pas à approcher et chaque habitant a son petit nuage autour de lui. Au moins, tu ne te sens plus seul au monde à attirer les moustiques. Désormais, tu n'es ni plus ni moins gêné que les autres. Tu as appris à cohabiter.

L'hôtel est au second étage d'un immeuble d'habitation. Le quartier a été réhabilité. Il s'agit d'un quartier populaire, avec son aire de jeu, son école. Des immeubles repeints avec de multiples couleurs vives. Au rez de chaussée de ces immeubles, souvent des magasins ou des bureaux de l'administration. Des jeunes du quartier approchent pour les questions habituelles. La majorité a bu trop de vodka. L'odeur de la vodka te met de plus en plus mal à l'aise. Le plus alcoolisé veut te prendre la main pour la garder. Compliqué. Un jeune à l'allure de punk qui a un peu moins bu te donne un coup de main en montant une sacoche. Il est heureux de la distraction que tu représentes. Il frappe ensuite plusieurs fois à ta porte mais tu souhaites aussi un peu de calme.



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De Seymchan à Zyrianka

 

Mercredi 2 juillet 2014

La pluie vous réveille. Vous espériez être épargnés pour votre dernière journée de route mais les choses se présentent mal. Internet qui fonctionne de manière très épisodique vous permet de récupérer le fichier météo de la région : des pluies intermittentes pendant au moins une semaine. Il n'y a donc aucune raison de rester.

Vous prenez un bon petit déjeuner et pliez bagages. Un policier vient vous chercher comme prévu à 8 heures. Vous lui remettez la clé de l'appartement une fois vos affaires sorties. Tu lui demandes si vous devez payer quelque chose. Non, leur aide était gratuite. Patrick pense qu'ils ont une sorte de quota de touristes à aider, mais ils ne vous ont même pas demandé vos passeports. Tu crois qu'ils nous ont aidés par bienveillance.

Alors que vous chargez vos motos, des dames attendent les véhicules qui les emmèneront au travail. Mais où donc travaillent-elles ? Tu ne vois pas d'usine en état de marche, ni de ferme, … Il y a bien quelques bureaux de l'administration, mais elles pourraient s'y rendre à pieds. Probablement qu'il y a parmi elles quelques secrétaires qui travaillent pour les chantiers de construction de la route, mais ce que font les autres reste un mystère.

Tu es aussi intrigué par le soin vestimentaire de toutes ces dames. Toutes rivalisent d'élégance dans un monde à l'abandon. Les contrastes de la Sibérie.

Vous quittez la ville sous la pluie après avoir fait le plein. A peine 3 km plus loin, Patrick s'arrête : pneu arrière crevé. Il te propose de poursuivre sans lui. Il sait que tu es inquiet pour l'état de la route qui doit t'emmener à Seymchan. Tu lui demandes s'il a déjà réparé une crevaison : jamais, mais il a changé une fois ses pneus en Australie, en suivant les instructions sur internet. Il vaut mieux que tu restes l'aider.

La réparation se passe sans souci. Alors qu'il n'y a plus qu'à recharger les affaires de Patrick, deux motards Norvégiens s'arrêtent. Chacun raconte son voyage. Ils sont impressionnés par ton projet. Un beau projet, mais loin d'être mené à bout. Ils repartent après avoir pris les adresses de vos blogs. Ils retrouveront certainement Patrick ce soir ou demain à Magadan.

La pluie cesse progressivement, et l'état de la route s'améliore au fur et à mesure de votre avancée. Vous retrouvez les Norvégiens devant un restaurant qui se trouve juste à l'embranchement qui tu dois prendre. Après un repas rapide, tu fais tes adieux à Patrick et prends la route de Seymchan. On t'avait dit beaucoup de choses contradictoire sur cette route, mais elle est finalement aussi bonne que la route principale. Aucun souci, d'autant plus que la pluie n'est pratiquement pas tombée sur cette portion de route.

Peu avant Seymchan, deux ou trois grues antiques le long du fleuve. Tu t'approches et rentres dans l'enceinte du 'port' qui ne ressemble en rien à un port. Plutôt une ferme avec des tas de fumiers. Tu te renseignes auprès d'un fermier, et il t'indique un bâtiment. Tu rentres, cherches un bureau. Un homme vient à ta rencontre. Tu essayes de lui demander s'il y aurait un bateau pour Zyrianka. Tu n'es pas certain qu'il ait compris, mais la réponse est 'demain, ou après demain, ou après après demain... En tous cas, c'est encourageant. On t'avait dit qu'il y avait un bateau tous les dix jours environ, donc sous deux jours... cela sonne comme une bonne nouvelle.

L'homme te conduit à un bureau. Là une dame te prend en charge. Elle t'amène tout d'abord dans un autre petit bâtiment jusqu'à un lit ! Tu pensais te rendre à Seymchan pour trouver une gotsinitsa, mais s'il y en a une ici, c'est parfait. Tu poses tes affaires et retournes voir la dame. Tu voudrais savoir s'il y a de l'eau potable sur le bateau, et pour combien de jours tu dois acheter des provisions. Les explications ne sont pas limpides, mais elle t'emmène ensuite dans un magasin qui se trouve dans le même petit bâtiment que la gotsinitsa, mais à l'opposé. Il y a tout dans ces deux petits bâtiments!

L'endroit est étrange. En bordure d'une ville fantôme, 5 km avant Seymchan.. Les deux petits bâtiments du port se mélangent avec ceux de la ferme. Il semble que l'exploitation laitière, l'activité « port » et celle de magasin d'alimentation fassent partie d'une seule petite entreprise. Peut être aussi une activité de transport routier car il y 5 ou 6 poids lourds et deux mécaniciens qui les réparent.

Une fois installé tu te rends à Seymchan pour faire quelques courses complémentaires. La ville ressemble aux dernières que tu as visitées. Des barres d'immeubles dont certains ont été abandonnés. Une centrale électrique au charbon en plein centre. Aussi une église en briques toute neuve qui déteint sur la morosité ambiante. Qui a bien pu financer un tel investissement ?

Tu t'arrêtes au retour faire le plein. Tu sais que l'essence encore sera plus chère par la suite. Pour la première fois, tu prends de l'essence à l'indice d'octane 80. Tu avais commencé par du 98 dans la région de Moscou, puis du 95 jusqu'à Yakutsk. Ensuite, il fallait te contenter de 92, et tu sais que désormais tu ne trouveras plus que du 80. Il faudra faire avec.

Tu as renoncé à descendre le fleuve sur ton bateau si tu trouves une péniche qui veuille bien de toi. Commencer par une étape de 550km ne semble pas très raisonnable. Tu es surtout méfiant envers les morceaux de bois qui flottent à la surface du fleuve. Tu n'as pas eu le temps de construire une protection pour la courroie, et tu sais qu'elle peut rapidement se désagréger quand elle entraîne des objets solides.

Tu triches ? Certainement. Tu tiens à limiter les risques. Ce voyage est surtout une reconnaissance. Une reconnaissance en environnement réel. Si tu n'atteins pas l'Alaska, tu auras au moins appris comment l'atteindre.

Tu partages ta chambre avec Igor qui se rend aussi à Zyrianka. Tout semble bien s'arranger pour le mieux. Igor parle quelques mots d'Anglais. Une bateau devrait partir vers 4h du matin. Tu mets du temps comprendre ce qu'il veut dire par là : l'un de ses amis doit passer le prendre sur un petit bateau. Petit, mais suffisamment grand pour t'embarquer avec la moto. A Zyrianka, tu pourrais prendre ensuite une barge pour Aniusk. L'avantage du petit bateau de son ami est qu'il est rapide : environ 18 heures pour rejoindre Zyrianka au lieu de trois jours pour la barge.

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Jeudi 3 juillet 2014

A quatre heure du matin, point de bateau. Peut être 7 heure.. A 7 heure, Igor pense que ce sera pour la fin de matinée.

A 13h, il reçoit enfin un appel de son ami. Ce denier est déjà reparti. Il n'avait pas réussi à le joindre. Le téléphone fonctionne par intermittence. Igor est déçu car il doit être avant demain à Zyrianka. Il pense désormais prendre un encore plus petit bateau. Donc ce sera sans toi. De ton coté tu devras attendre la prochaine barge prévue peut être pour la fin de journée. Tu apprends la patience. Tu te renseignes de ton coté auprès de la dame du bureau : elle te confirme que ce devrait être entre 7 et 8 heurs ce soir. Tu suis les évènements, tu sais qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre. Tu regrettes juste qu'Igor ne soit plus là pour te tenir compagnie et te servir d'interprète.

Igor a allumé la télévision dans la chambre. On évoque beaucoup l'Ukraine. La position officielle de la Russie est défendue strictement par les médias. Tu entends en permanence le mot « Fascistes » à propos du gouvernement Ukrainien. Si tu trouves la position Russe légitime sur le fond, la forme te paraît partiale et souvent lourde. Mais dès que l'on se rapproche d'une situation conflictuelle, tous les médias du monde perdent leur objectivité. Tu te souviens comment étaient traitées les guerres du Golfe en France.

On parle aussi beaucoup de la France. Aujourd'hui la mise en examen de Nicolas Sarkozy. La semaine dernière, on évoquait l'hôpital de Grenoble et le piratage du dossier médical de Michael Schumacher, ou encore les grèves dans les transports.

Lorsqu'il n'y a pas les informations, on passe souvent des films de guerre. Tu entends en permanence des coups de feu, de mitraillettes. Ce bruit de fond t'agresse.

Tu essayes depuis ce matin d'accéder à internet, mais le réseau est définitivement trop lent. Au moins as-tu pu lire tes mails une fois et en envoyer deux. Mais il ne faut pas compter mettre à jour ton blog et tu te demandes si tu pourras le faire tant que tu seras en Sibérie. Peut être Bilibino ? Sinon ce serait l'Alaska si tu réussis la traversée. En tous cas, ton blog ne sera probablement plus remis à jour avant longtemps.

Igor se prépare à partir. Leur bateau est tout petit, mais équipé d'un moteur hors bord de 40CV. Un mètre plus long que ta propre embarcation. Tu es content de savoir qu'ils parcourent fréquemment de telles distances sur le Kolyma. Ils feront 8 heures de navigation, s'arrêteront dans une cabane de chasseurs pour dormir quelques heures, et repartiront pour la même durée jusqu'à Zyrianka. Ton idée de descendre le Kolyma sur une petite embarcation n'a donc rien d'irréaliste, bien au contraire.

Tu restes en revanche inquiet par les branches et les arbres charriés par le fleuve. Pour que ton système soit fiable, il faudrait améliorer la protection de la courroie. Même si tu as deux courroies de rechange, il vaut mieux prévenir que guérir. Tu observes aussi que leur hélice est bien abimée. Et les branches restent aussi un souci pour la structure pneumatique. Il serait préférable d'être deux dans ce genre d'aventure.

Quant tu leur demandes combien de litres d'essence ils emportent, la réponse te laisse rêveur : 200 litres. Leur bateau en acier est certainement beaucoup plus lourd, leur moteur moins optimisé... mais leur coque est mieux profilé et tu serais parti avec seulement 100 litres. Aurais tu sous-estimé la consommation ? Ou peut être prévoient ils la consommation du retour car Igor t'a dit que l'essence était beaucoup plus chère à Zyrianka.

En fin d'après midi, un homme frappe à ta porte. Il se présente comme allant lui aussi à Aniusk. Il s'appelle Nicolaï, et te quitte là dessus. Un bon point quand même.

Le soir tu attends la « barge » avec impatience. A 7 heures, ce n'est pas un mais deux remorqueurs qui arrivent. Un seul pousse une barge de dragage avec une énorme grue flottante. Lorsque les équipages descendent, tu essayes de savoir si l'un d'eux pourrait te prendre. Tu ne comprends rien à leur réponses. Tu répètes ta question au gars du port qui t'avait accueilli ce matin. Il n'en sait rien. Tu crois comprendre que ce ne sont pas les bons bateaux. Il y en aura-t-il d'autres ? Il n'en sait rien. La seule chose que tu comprends aux questions que tu poses est « je ne sais pas ». Dans tous les cas, tu crois comprendre que ces bateaux ne te prendront pas. Et qu'il ne se passera plus rien ce soir. Frustration. Une heure plus tard, deux péniches arrivent à leur tour. Elles jettent l'ancre au milieu de la rivière. Tu reprends espoir.

Tu déposes ton sac de la moto et tu retournes à la chambre que tu pensais quitter ce soir définitivement. Tu t'endors déçu de ta journée.

On te réveille vers minuit en frappant fortement à ta porte. Le capitaine de la plateforme de dragage, un gaillard presque chauve. Il te demande de le suivre. Il s'appelle Anatole. Tu te rhabilles rapidement et t'exécutes. Une fois dehors il te demande de lui faire une accolade. Il ne sentait pas particulièrement l'alcool, mais tu réalises maintenant qu'il a bien bu. Tu le laisses te serrer dans ses bras, et tu le suis sur sa plateforme.

Vous descendez dans les cales. Sous un pont aux allures d'usine, un couloir qui dessert des cabines coquettes. Vous retrouvez Nicolaï avec un jeune de l'équipage dans la salle à manger. Ils veulent te faire boire de la vodka et tu es décidé à ne pas les suivre. Tu n'es plus inquiet car une dame âgée au sourire doux est aussi présente. Elle vous sert à manger. Est elle la femme d'Anatole ? Non, la cuisinière. Sa femme est en Ukraine. Anatole te fait visiter la barge, te montre une chambre, une douche. Tu commences à comprendre : Nicolaï savait que tu croyais partir ce soir, et il a du dire à Anatole que tu n'étais pas hébergé sur un bateau. Mais même si les gotsinitsas sont très chères, tu préfères y retourner. Tu remercies tout le monde et retournes rapidement te coucher.

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Vendredi 4 juillet 2014

Lorsque la première péniche accoste pour décharger son charbon, tu te rends sur le quai où discute son capitaine avec le directeur du port. Il comprend rapidement ta demande et accepte de te prendre jusqu'à Aniusk. Une bonne chose de réglée.

Alors que tu rentres à la gotsinitsa, tu croises un jeune. Il te propose de venir prendre le petit déjeuner avec eux. Tu le suis, et retrouves Anatole et l'ensemble de l'équipage de la plateforme de dragage. Anatole est Ukrainien. Sa femme est russe. Sa famille vit dans l'Est de l'Ukraine et tu comprends vite qu'il est déchiré par les images de la télévision. L'Ukraine est à plus de 10000 km d'où l'on se trouve, mais le sujet revient très souvent dans les discussions auxquelles tu assistes. Tu as l'impression que la plupart des Russes ont des liens avec l'Ukraine.

Anatole est toujours aussi chaleureux. Et dès le petit déjeuner, il prend Vodka et alcool Ukrainien. Le jeune qui t'a invité est son fils. Anton. Il te montre les photos qu'il a prises ces dernières semaines. Des belles photos. Il y a une dizaine de jours, il a beaucoup photographié les inondations à Zyrianka. Tu ignorais même que la ville avait été inondée. Tu avais vu souvent des reportages sur Sarkozy, mais jamais d'image d'inondations. Zyrianka est oubliée des médias Russes. Voici quelques photos d'Anton :

Tu approches rapidement ta moto du quai. Mais on t'explique qu'il n'y a pas le feu. Une demi journée pour décharger le charbon de la barge, puis il faut charger les containers, et ensuite on finira avec ta moto. Tu assistes donc au déchargement, puis au chargement... Tu es invité à monter dans la grue. Anatole te fera aussi visiter la plateforme de dragage. Vous êtes devenus bons copains et il t'offrira un saucisson d'élan fumé ainsi qu'un drapeau Russe. Ses présents te font plaisir.

Le charbon déchargé est destiné à la petite centrale électrique qui se trouve au centre de Seymchan. L'hiver est rude, et la centrale est aussi utilisée pour le chauffage collectif. Lorsque les péniches redescendront le fleuve, elles emporteront des containers pour les magasins des villes qui longent le fleuve. L'hiver, les choses sont plus simples car le fleuve devient alors une route sur laquelle les camions pourront circuler librement.

En milieu d'après midi, tu retrouves Nicolaï près de ta moto. Pour plaisanter tu lui tends les clés. Es tu d'accord pour qu'il fasse un tour ? Pourquoi pas. Le voilà parti. Tu as déchargé bateau et sacoches et la moto est redevenue étonnement légère. Nicolaï revient ravi. Zaïbiss... ce que tu traduit par jouissif.

La moto est ensuite chargée par la grue. Tu avais préparé les sangles, et tout se passe rapidement. La barge peut s'éloigner du quai pour laisser la place à la seconde barge... La même routine qui durera jusque tard dans la nuit. Youra le grutier et ses collègues du port auront travaillé en continu de 9h à 23h.

Les deux barges pourront repartir demain matin, ensemble, avec toi et ta moto.

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Samedi 5 juillet 2014

Tu as une cabine, un lit, l'accès à la douche... Grand confort. L'équipage de la barge est composé de 6 personnes : le capitaine, le mécanicien, la cuisinière, et trois jeunes qui assistent ces derniers. Le bateau n'est pas bien grand, mais tu les voies jamais ensemble. Ils doivent chacun passer l'essentiel de leur temps à leur poste ou dans leur cabine.

Vous êtes deux passagers : Alek et toi. Alek est commerçant à Zyrianka et il ramène un container de marchandises. Avant (comprendre à l'époque de l'URSS) il y avait une vedette rapide pour passagers qui reliait Zyrianka à Seymchan. Aujourd'hui, ce sont les péniches qui la remplacent en acceptant un ou deux passagers. Sinon, il reste l'avion.

Tu récoltes des informations sur le fleuve. Tu sais désormais que la navigation serait possible pour ton moto-bato de début juin à la mi septembre. La vitesse du courant est entre 5 et 10 km/h selon les endroits. Il y a un peu de navigation : aujourd'hui, on a croisé un petit hors bord et une péniche qui se rendaient à Seymchan.

Suivre le fleuve n'est pas simple. Le Kolyma est beaucoup plus étroit que la Lena. Beaucoup moins profond aussi. Un slalom permanent entre les bancs de sables. Dans certaines zones, il y a des dizaines d'iles entre lesquelles il faut passer. Parfois, un seul chenal étroit que les péniches doivent suivre avec précision. Parfois, le chenal n'est plus qu'à une dizaine de mètres de la berge. Tu ne t'y attendais pas, mais une signalisation aide : des grands panneaux blancs indiquent souvent la direction à suivre, les changements de caps. Mais tu ne les vois pas toujours.

L'eau est toujours boueuse, opaque. Est-ce un jour particulier à cause de la pluie incessante ? Très souvent des branches coincées dans le sol dépassent de la surface. Il y en a-t-il beaucoup invisibles, cachées par l'eau ? Définitivement, le bois aurait été ton premier souci si tu était descendu sur ton bateau pneumatique. Tu sais désormais qu'il est indispensable de mieux protéger la courroie de l'arbre d'hélice.

Le navire est ancien : début des années 1980. Un pur produit de l'époque soviétique. Les moteurs proviennent d'Allemagne de l'Est. Un GPS de marine avait été rajouté pour le guidage, mais il ne fonctionne plus. Le Capitaine tourne les pages d'un atlas du fleuve, même s'il semble bien le connaître. A peine une heure après le départ, un arrêt a été nécessaire pour réparer une pompe à eau. Une réparation de routine comme il doit y en avoir à chaque trajet.

Tu passes la plus grande partie de ton temps dans le poste de pilotage. La vue y est plus belle, et il y a toujours un peu d'action. Parfois de la musique, le plus souvent américaine, en musique de fond. Sinon le Capitaine chantonne des chansons russes. Il te semble reconnaître certains airs. En fin de journée, tu reconnais parfaitement un air : la Marseillaise. Alors que tu souris et applaudis, le mécanicien te dis « Marseillaise ». Tu es surpris de leur connaissance de la culture Française. Ils t'auront cité dans la journée plusieurs chanteurs ou comédiens Français, et voilà qu'ils connaissent même le nom de notre hymne national. De ton coté, tu ne connais aucun nom de chanteur ou de comédien russe, et n'as aucune idée de ce que peut être l'hymne national russe. Pourquoi ? Pourquoi la France intéresse-t-elle autant les autres pays d'Europe, et pourquoi les Français sont ils si peu cultivés lorsqu'il s'agit de l'Europe ? Un mystère ou la faute à Voltaire ?

Le bateau s'immobilise à 10h pour la nuit. Le capitaine t'invite à regarder ses photos. La plupart ont été enregistrées avec la date inscrite dans un coin. Tu comprends le rythme des saisons. L'embâcle vers le 10 octobre, les routes d'hiver sur le fleuve, puis la débâcle vers le 20 mai et la première remontée du fleuve dès la fin mai.

Tu as droit aussi à des photos plus personnelles sur les parties de chasse et de pêche. Toutes les prises sont énormes : aussi bien les poissons sortis de la glace que les oies sauvages.

 

Dimanche 6 juillet 2014

Tu es réveillé par les bruits du moteur. Nous nous sommes arrêtés à 10h du soir, et repartons à 6h. En permanence le Capitaine est à la barre. Hier, il est descendu prendre son déjeuner pendant la réparation de la pompe à eau. Aujourd'hui, on lui monte ses repas. Des journées longues, mais aussi denses et stressantes car le pilotage requiert beaucoup d'attention. La saison dure 6 mois. 6 mois de travail avec comme seules pauses les déchargements et les chargements des marchandises sur les quais. Mais pour ce qui est des chargements, le Capitaine reste présent et veille au placement pour conserver l'assiette horizontale de la péniche.

Ce matin, c'est une pompe à huile qui concentre les efforts de Constantin le mécanicien. Mais un arrêt n'a pas été nécessaire à la réparation. En revanche, un banc de brouillard barre la route sur toute la largeur du fleuve. Les deux péniches jettent l'ancre une nouvelle fois après avoir fait demi tour pour être face au courant. Vous repartirez dès que le soleil aura dissipé ce mur, mais un quart d'heure plus tard, un nouvel arrêt est à nouveau nécessaire pour la même raison. C'est la nature qui commande.

Le soleil fait des apparitions. Une belle lumière qui joue avec le brouillard. Tu en profites pour faire quelques photos. Tu n'as pas fait beaucoup de photos pendant ce voyage, et tu te rattrapes un peu. Depuis le départ, tu n'as pas eu souvent l'esprit à la photo. Trop de choses à penser, à anticiper, … Quand tu passeras en mode bateau, ce sera probablement pire.

On passe dans l'après midi devant un petit port avec deux trois maisons et surtout un important dépôt de carburant. Le port d'accès à des mines d'or. Le Kolyma est encore le moyen d'accès aux mines.

Le Capitaine t'a annoncé que ce premier Dimanche de Juillet était un jour férié. La fête annuelle pour les équipages. Tu crois comprendre que l'on commémore la fin des Goulags. Le Kolyma était l'endroit où se concentraient les Goulags.

Les deux péniches sont immobilisées à 18h. Une journée raccourcie pour cause de jour férié. Les deux péniches sont placées côte à côte et tu découvres l'équipage de la seconde péniche. Tu as aussi l'impression que certains mousses ne se connaissaient pas. Les deux péniches jumelles passent l'été ensemble, mais leurs équipages n'ont pas souvent l'occasion de se croiser, si ce n'est ce jour de fête.

On organise un barbecue, une grande table sur le pont de l'autre péniche. Les deux cuisinières ont préparé un nombre de plats impressionnants. Et les bouteilles d'alcool défilent. Tu acceptes les deux ou trois premiers verres, puis essayes de refuser tant bien que mal. Tu es assis à coté de Paona la cuisinière qui te remplit ton assiette. Depuis que tu es sur la péniche, tu manges deux fois plus que d'habitude.

Vous êtes près de la rive et les moustiques sont aussi de la partie. Tu t'es habitué à leur présence. L'anti-moustique russe est efficace, et si tu te fais piquer quelques fois, cela ne te perturbes plus.

Même si tu progresses depuis quelques jours, ton niveau de Russe est toujours trop insuffisant pour suivre les conversations. D'autant plus qu'il se raconte surtout des blagues. Tu as encore beaucoup à apprendre.

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Lundi 7 juillet 2014

Comme la veille, les moteurs sont mis en marche à 6h. Tout le monde est à son poste. Chacun s'inquiète de ta gueule de bois, mais tu t'en es bien tiré en t'enfuyant parmi les premiers.

Hier, tu as appris que le programme des deux péniches avait changé : elles n'iront pas à Aniusk, mais retourneront sur Seymchan après la pause à Zyrianka. Dommage ; tu t'entendais bien avec l'équipage. Mais ce sera l'occasion d'en rencontrer un autre.

Tu profites du temps libre pour préparer tes prochains itinéraires, sur piste, puis sur mer. Hier, Alek t'a appris que la route entre Bilibino et Pevek était toute neuve. Il y a probablement deux ou trois cents kilomètres en commun avec la piste d'Egvekinot, qui elle n'est pas vraiment une route. Deux ou trois cents kilomètres faciles pendant lesquels tu pourrais alors te surcharger en essence sans prendre trop de risques. Tu en sauras plus à Bilibino.

Vous arrivez à Zyrianka comme prévu en fin de matinée. Le capitaine t'a trouvé un bateau pour Aniusk avant même que l'arrivée : une barge de dragage jumelle de celle d'Anatole. Elle devrait partir demain.

Tu t'attendais à une nouvelle ville semi-fantôme, mais Zyrianka est vivante. Beaucoup de vieux bâtiments, mais aussi des bâtiments récents ce que tu n'avais pas vu dans une petite ville depuis longtemps. Le port est plus conséquent que celui de Seymchan. Une dizaine de bateaux sont soit à quais, soit posé sur la berge, soit pour les plus gros ancrés dans la rivière. Votre arrivée n'est pas l'évènement de la semaine comme à Seymchan.

A peine arrivés, le capitaine te présente un homme en uniforme qui te demande de le suivre. Tu penses tout d'abord qu'il te faut faire quelques formalités, mais non... Nicolaï est un ancien champion d'URSS de moto sur glace, et il reste passionné par le sujet. Il te fait visiter son bureau où photos et médailles rappellent cette époque. Tu visites aussi les bureaux, les salles de sport et de repos des salariés du port et de la compagnie fluviale. L'ambiance est restée très soviétique.

Tu retournes au bateau assister au débarquement des containers et de ta moto. La péniche quitte alors le quai pour se poser un peu plus en aval sur une partie de berge libre. Le temps semble passer beaucoup plus lentement ici qu 'à Seymchan. Les grutiers ont fait une pause déjeuner. Ils te paraissent moins efficaces, moins stressés qu'à Seymchan. Le « boss » du port de Seymchan était toujours présent et contrôlait en permanence le déroulement des opérations. Ici le rythme est plus tranquille.

Tu dînes le soir sur le bateau avec le capitaine, son épouse, et une amie de son épouse. Tu poses des questions sur leur vie. L'année se découpe toujours en deux parties : l'hiver à quatre cents kilomètres au sud de Moscou, et l'été ici : à Zyrianka pour elle et sur la péniche pour lui. Le Capitaine t'interroge sur ton salaire, te donne le sien. Le sujet n'est pas impoli en Russie et on te pose souvent la question. Il doit y avoir au moins un facteur 5 entre un salaire Français et un salaire Russe. Les Russes pensent souvent qu'il faut être millionnaire pour voyager ainsi. Si tes revenus sont au dessus de la moyenne, tu as aussi rencontré des voyageurs Français dont les salaires se situaient en dessous de cette moyenne. En tout cas, un Capitaine de péniche Russe ne gagne pas des fortunes.

En fin de soirée, Nicolaï, l'ex champion de moto sur glace passe de prendre pour une visite de la ville. Tu as l'impression d'être sur une île. Pour en sortir, il n'y a que l'avion ou le bateau. Tu es surpris par le nombre de monuments. Vous vous arrêtez devant plusieurs d'entre eux pour faire la photo.

Tu rentres à la péniche. Youra et Alexis veillent dans le poste de pilotage. Youra te demande de lui montrer des photos de voyage. Tu les quitteras demain, avec regret.

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Kolyma Highway

 

Vendredi 27 juin 2014

La pluie est tombée fort cette nuit. Au matin, des grandes flaques d'eau un peu partout. Tu regardes la météo qui semble plutôt favorable. Tu peux donc partir sans grande inquiétude. Tu te dis que la pluie aura eu l'avantage de coller la poussière au sol.

Andreï tient à t'accompagner au bac. Ruslan vous y retrouve. Il souhaite faire un interview pour la chaîne de télévision Iakoute. Tu te prêtes au jeu.

Un lien sur son interview :
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Tu attaques vraiment la route de Magadan vers 14h. Rapidement un orage. La grêle, une quantité d'eau impressionnante. Tu n'avais pas mis ta veste de pluie et tu es trempé avant même de la sortir.

Tu réalises vite que cette route de terre va être compliquée. Tu te souviens de la Carretera Australe. La pluie y était permanente mais pas vraiment gênante pour la conduite. Ici, l'évacuation de l'eau n'a pas été particulièrement prévue. La terre se transforme rapidement en boue. Tu éprouves des grosses difficultés. Tu sais que tu ne dois pas tomber, et si tu arrives à éviter les chutes, c'est souvent par chance ou au prix de gros efforts. Tu t'épuises nerveusement et physiquement. Tu te dis que jamais tu n'y arriveras.

Si les autres véhicules ne soulèvent pas de poussière, ils envoient en revanche des giclées de boue ou d'eau boueuse. Ta visière est trop sale. Rapidement il te faut ouvrir visière ouverte. Tu reçois alors tout en plein visage. Tu as la terre dans les yeux. Cela te rappelle le rugby. Tu apprends vite à tourner la tête à chaque croisement de véhicules. Mais la boue rentre quand même...

La plupart du temps, tu avances tout doucement. Ta moyenne doit être de 20 km. La boue n'a jamais été ton fort. Et si les 2000km que tu as à faire se passaient tous dans ces conditions ? Non, il faut rester optimiste.

Après 50 km pénibles, tu t'arrêtes dans le premier village prendre un café chaud. Au moment de repartir, la boue te fait faire plusieurs écarts, tu contrôles vraiment mal ta direction. Il n'est que 16 heures, mais tu préfères en rester là. Demi tour après deux kilomètres. Tu cherches un endroit où dormir. Plusieurs personnes te confirment qu'il n'y en a pas dans le village. Il faut faire 200 km...

Tu repars en sachant que tu ne feras pas 200 km ainsi. Tu te moques de savoir où tu dormiras. Tu voudrais juste quitter cette boue. Petit à petit, tu t'habitues un peu à l'état de la route. Même s'il y a des portions où tu ne fais vraiment pas le fier. Parfois des champs de bosses d'argile glissant. Probablement sculptés par les troupeaux. Parfois de la tôle ondulée que tu es obligé de prendre à 10 km/h. Parfois des ornières profondes.

Tout le monde te double. Autant dans la poussière, tu roulais plus vite que les voitures, autant dans la boue elles te dépassent toutes. Tu voies cependant plusieurs véhicules, dont deux camions qui sont dans le ravin.

Après 160 km, tu arrives dans une petite ville. A la station service on t'indique un hôtel. Tu t'y rends en traversant les champs de boue que sont les rues. L'hôtel est occupé par un groupe de jeunes filles qui parlent Anglais. Une surprise agréable. Sauf que l'hôtel est plein... Il y en a un autre et on se propose de t'y guider. A nouveau des champs de boue. Ton guide s'arrête au dessus d'un trou. Il te montre le toit qui dépasse du trou... C'est là, 10 mètres en contre bas du reste du village. Tu leur es reconnaissant de t'avoir guidé, mais tu restes circonspect quant à la position de l'hôtel. Faut-il descendre ? Fatigué, tu décides d'y aller. La descente se passe toute seule. Impossible de freiner, donc tu descends comme sur un toboggan. Heureusement, la moto s'enfonce dans la boue, et tu peux accompagner la descente avec tes pieds de chaque coté. En bas, il te faut tourner au milieu des ornières remplies d'eau pour rejoindre l'hôtel. Tu y arrives en faisant chauffer ton embrayage et en calant quelques fois. Tu n'aimes pas du tout la boue. Tu l'as déjà dit...

Tu t'arrêtes, ou plutôt la boue t'immobilises à quelques mètres de l'entrée. Tu sais que tu ne pourras pas remonter, et tu décides de déposer sac, bateau et sacoches. Ta seule chance serait de monter à vide, si par hasard le passage s'assèche un peu.

Une gotsinitsa n'est pas un hôtel mais un lieu d'hébergement. Toutes les gotsinitsas sont différentes. Dans celle ci, vous dormez à plusieurs par chambre. Tu partages une chambre avec deux jeunes qui montent des pylônes pour les antennes GSM. Alexander se charge de t'expliquer comment fonctionne le lieu. Les toilettes à la Russe, la « douche » qui n'est qu'une cabane ouverte dans laquelle on apporte son sceau d'eau. Il t'offre aussi à manger. La gentillesse tranquille.

Tu es inquiet pour la remontée. Il te faudra rester au fond de ce trou tant que le mauvais temps continuera. Tu as vu deux 4x4 sortir. Ils prennent leur élan et se lance dans la pente avec un maximum de vitesse. Pour l'instant, tu ne te voies pas faire la même chose.

Tu discutes avec tes compagnons de chambre. Tu comprends qu'ils sont comme toi, bloqués... Il pleut depuis trois jours, et voici deux jours qu'ils n'ont pu remonter, donc se rendre sur leur chantier. Leur véhicule a bien 4 roues motrices mais n'est pas assez puissant pour la côte. Ils sont philosophes : un repos forcé...

Epuisé, tu te couches tôt. En t'endormant, tu te dis que tu pourrais peut être les mettre à contribution pour sortir la moto si tu n'y arrives pas seul. Tu as tout déchargé, et ta moto est plutôt légère. Dommage que tu aies fait le plein juste avant la descente... Mais ils ont raison : tu repartiras quand tu le pourras. Bonne nuit.

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Samedi 28 juin 2014

Il fait grand soleil. Tout s'assèche rapidement. En fin de matinée, tu décides d'y aller. La patronne de l'hôtel arrête un 4x4 pour lui demander de monter tes sacs et sacoches. Tu te lances dans l'ascension. Tu n'es pas à l'aise, mais tu montes finalement sans grande difficulté. Le soleil a déjà fait son oeuvre. En haut, tout a bien séché...

Une fois tes affaires prêtes, tu redescends à pieds dire au revoir à tout le monde, et te démarres. Enfin des bonnes conditions. Pas trop de poussière ni trop de boue. Tu prends un petit orage en début d'après midi, mais il arrive dans une zone plutôt facile. Tu as de la chance aujourd'hui. Les seules difficultés sont les zones de sables et de gravier.

Un petit pont en partie effondré. Les chauffeurs des camions se sont arrêtés pour remettre des planches, combler avec du sable. Les voitures commencent à passer et tu fais de même.

Tu arrives un peu avant 17h à une rivière où tu dois prendre un bac. Le bac est vide. Tu attends qu'une voiture arrive pour monter.

Tu fais le tour de la moto. Tu vois de suite la grande tâche d'huile sur le tube de fourche droit. Elle n'y était pas 30km plus tôt, et vu tout ce qui a été projeté sur le sabot moteur, il ne doit plus y avoir beaucoup d'huile dans le tube. Un coup au moral. Tu avais eu une fuite de fourche en 2010, mais pas aussi importante. Là, il serait même inutile de rajouter de l'huile... Tu verras bien. Pourtant, tu n'as rien senti d'anormal sur ces derniers kilomètres, la conduite paraissait normale.

Le bac se remplit. Mais lentement. Tu essayes de t'informer. L'heure du départ est prévue pour 20h. Tu discutes avec des Ouzbeks qui travaillent pour une compagnie d'électricité. Eux aussi installent des pylônes. Tu leurs montres sur ton téléphone tes photos d'Ouzbékistan. Ils viennent d'une petite ville dans la région de Samarcande.

Le bac finit par partir. Lors de la traversée, tu discutes avec d'autres personnes. Tu leur demandes s'il y aura un hôtel de l'autre coté. Il y en a un à 30km et ils te proposent de t'y conduire. Ils sont pressés, roulent très vite, mais t'attendront à l'entrée de la ville. Sur ces 30km, tu n'auras à nouveau senti aucune gêne dans la conduite. Le tube gauche doit compenser le manque d'amortissement du tube droit. Une bonne nouvelle.

Le soir tu écris à tes amis plus calés en mécanique. Internet ne fonctionne pratiquement pas, et tu ressayeras plusieurs fois dans la nuit d'envoyer ton mail. Loic te conseille de surveiller la température du tube. Il te propose aussi de t'envoyer les pièces de rechange, mais tu n'y crois pas trop. Cela prendrait trop de temps. Et puis DHL n'assure plus les livraisons aux particuliers.

L'hôtel occupe le rez de chaussée d'un vieil immeuble. Mais tout est propre, impeccable. Il y a une vraie douche chaude, une cuisine. Seul un couple occupe une autre chambre. Ils t'invitent à partager leur repas. Tu avais fait quelques courses, mais tu acceptes. Une soirée agréable.

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Dimanche 29 juin 2014

Tu perds une heure pour trouver la station service. Tu voulais démarrer plus tôt que la veille, mais il est déjà 11 heures. Il fait beau, la route est bonne. Tout est bien agréable aujourd'hui.

Un cycliste voyageur. Tu t'arrêtes. Un Russe qui va de Moscou au Kamchatka. Depuis Magadan, il continuera sur une route d'hiver et passera les rivières sur un canöe qu'il emporte avec lui. Vous rigolez d'avoir eu la même idée et vous félicitez réciproquement. Mais tu le trouves plus courageux que toi. Il te dit aussi avoir vu passer une moto il y a 30 minutes. Peut être la retrouveras tu plus tard.

Au loin des montagnes. Elles se rapprochent. Tu quittes la plaine pour la montagne. Un grand bonheur. Des beaux paysages, un ciel clément et une piste facile. Que du plaisir. Tu ne croises presque plus personne, donc presque plus de poussière.

Après une heure ou deux en montagne, un motard arrêté sur le bas coté. Probablement celui dont t'a parlé le cycliste. Patrick est Australien. 26 ans. Maintenant tu te souviens de l'avoir vu passer à Yakutsk au moment où Valera te passait l'enveloppe de ta carte Visa. Tu avais dit à Valéra « une plaque Australienne ». Et les jeunes filles de la Gotsinitsia, avant hier... elles avaient hébergé la nuit précédente un Australien. A chaque fois la même personne.

Vous roulez ensemble. Vous êtes l'un et l'autre heureux d'avoir un peu de compagnie. Patrick est un garçon agréable, calme.

Un chantier routier énorme. Un parking avec des centaines d'engins, de camions bennes,... Tu n'en as jamais vu autant. Les travaux sur une route sont ici pharaoniques. Plusieurs viaducs sont en construction dans les alentours, et on vous fait prendre des déviations surprenantes par la pente, l'étroitesse et l'état de la piste. Vous vous arrêtez prendre une photo. Alors que vous êtes prêts à repartir, tu vois ta moto... se retourner. Cela ne lui était plus arrivée depuis le jour du départ. Heureusement, Patrick est là pour te donner un coup de main. Tu ne sauras pas si tu es capable de la redresser seul, mais mieux vaut ne pas savoir.



Vous roulez alternativement Patrick ou toi devant pour partager les désagrément de la poussière. A un gué, Patrick t'attend. La première rivière. Pas très profonde, mais les galets sont gros. Tu t'engages trop lentement et restes bloqué au milieu. La roue arrière dans un trou. Patrick vient t'aider à en sortir. Il a les bottes trempées. Les tiennes sont étanches, mais l'une d'elle est remplie d'eau. Tu t'en veux. Tu aurais été plus concentré que rien ne serait arrivé.

La route est toujours aussi belle. Il est 6 heures quand vous arrivez à la prochaine station service. Un café dans une roulotte. Un endroit un peu lugubre et pour la première fois, la serveuse te semble pas particulièrement sympathique. Il s'agit d'une vraie road station. Une famille habite là, loin de tout. A 200km de la première ville, dans un endroit infesté de moustiques, où la température chute à -50° l'hiver. Tu n'en veux pas à la serveuse de n'être pas particulièrement accueillante.

Vous repartez pour une dizaine de kilomètres, jusqu'au premier endroit où vous pourriez planter vos tentes. Le sol est caillouteux. Il te faut défaire ton bateau pour récupérer la bâche. Patrick te propose de partager sa tente, une grande tente Russe pour trois personnes. Cela te fera gagner beaucoup de temps.

Tu es aussi attaqué de toutes parts par les moustiques. Tu t'asperges d'anti-moustique. Tu n'est plus piqué, mais toujours entouré d'un nuage de moustiques. Stressant.

Patrick a aussi son anti-moustique Australien, mais les moustiques en veulent surtout à toi. A tu une peau à moustiques, est tu plus sale, plus propre … Tu ne comprends pas pourquoi toi ! D'un autre coté, cela ne servirait à rien de partager ces centaines de moustiques à deux. Autant les garder tous pour toi.

Une fois dans la tente, le bonheur... Tu peux écrire ces lignes en toute tranquillité. Tu entends le chant des moustiques de l'autre coté de la toile, mais tu restes serein.

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Lundi 30 juin 2014

La route est toujours aussi belle et aussi bonne. Une sorte d'autoroute de terre... Rien à voir avec la première partie dans les environs de Yakutsk. Rouler dans ces conditions est un grand plaisir. Vous pouvez rouler vite dans les lignes droites, et il faut juste se méfier des virages. Peu de véhicules, mais tout de même parfois quelques surprises.

Les villes sont rares. La route de Magadan a été retracée et vous êtes sur une nouvelle section en dehors de toute zone habitée. Vous arrivez dans la première ville en milieu d'après midi. Un bon repas dans un restaurant Chinois et vous repartez après quelques courses. Vous savez que vous devrez camper à nouveau la nuit prochaine.

Vous roulez tranquillement. Patrick roulait plus vite avant votre rencontre, mais il a eu deux chutes méchantes. Il s'est fait très peur. L'une de ces chutes à 80km/h en doublant un véhicule dans la partie de travaux de la route de Yakutsk. La même zone où tu as eu peur de connaître la même mésaventure. Et une seconde chute hier avant que tu ne le rencontres, en arrivant sur un pont. Il a eu deux fois beaucoup de chance de s'en tirer avec un minimum de dégâts.

Vous arrivez dans une zone où les villes se succèdent pratiquement tous les 50 ou 100 km. Ce sont souvent des villes fantômes. Personne n'y habite plus et elles sont souvent à moitié détruites. Des villes abandonnées. Du temps de l'URSS, la planification avait considéré qu'il fallait relier l'Est de la Russie à l'Ouest par une zone de peuplement. On avait ainsi construit des villes complètes avec école, poste de police, barres de HLM,... Tout ce qu'il fallait pour ressembler à n'importe qu'elle autre ville soviétique. Il y a avait des usines pour que les gens puissent travailler, le téléphone, tout... A la chute du mur, les usines ont fermé car trop éloignées pour être rentables. La majorité des habitants sont alors partis, si ce n'est la totalité. La route ne traverse généralement pas ces villes fantômes mais passe à coté. Un paysage étrange.

Toutes les villes n'ont pas été abandonnées. Il reste parfois une petite partie des des habitants t'entant. Tu te serais attendu à trouver des vieillards qui ne veulent pas quitter l'endroit où ils ont vécu, mais tu vois surtout des jeunes dans ces villes semi-fantômes. Des jeunes femmes élégantes avec des poussettes, des enfants à vélo.. Tu ne comprends pas pourquoi ces jeunes sont là. Un défi ?

En soirée, vous atteignez une petite ville : Artik. La ville a moins de 10% de sa population d'antant. Patrick demande à deux jeunes adolescentes de 15 ans s'il y a une gotsinitsa. Les jeunes filles ressemblent à toutes les adolescentes d'Europe. Mais tu restes perplexe sur leur conditions de vie. Artic a du abriter quelques centaines d'habitants, mais il n'en reste que quelques dizaines aujourd'hui.

Faute d'hébergement, vous roulez encore une cinquantaine de kilomètres avant de camper. Le campement est à nouveau infesté de moustiques. Tu aurais espéré un endroit sec, mais ce serait pour une autre fois.

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Mardi 1er juin 2014

Vous croisez deux motards Polonais en BMW. Une GS 800 et une 1200. Le gars à la GS 1200 est tombé plusieurs fois. Il semble avoir des côtes cassées. Sa moto est lourde, mais la tienne aussi est beaucoup trop lourde. Tu n'as rien à dire là dessus.

La route de Magadan est célèbre pour les motards. Vous êtes sur une section nouvelle, mais c'est surtout l'ancienne route qui fait parler d'elle. Des ponts à moitié détruits, plusieurs gués... une sorte de défi pour motards imprudents. Toi, tu es bien heureux d'avoir une bonne route confortable. Et tu as trouvé moyen de coincer ta roue dans le seul gué que tu as rencontré! Quant à Patrick, il voulait initialement faire la boucle, mais ses chutes lui ont fait changer d'avis. Il pense désormais revenir par la même « autoroute ».

Le midi vous déjeunez à Ost Nera, l'une des plus grandes villes qui longent la route. A nouveau une ville semi fantôme. Un bâtiment sur deux est abandonné. Ceux qui ne le sont pas doivent avoir un taux d'occupation très faible.

Le restaurant est chic. La preuve : vous payez après avoir mangé, ce qui ne vous est pas arrivé depuis bien longtemps. La dame qui prend les commandes est souriante et prévenante. Vous trouvez chaque plat succulent.

Vous n'avez que 100km pour rejoindre Yagodnoye. Patrick y a repéré sur son GPS une gotsinitsa dans cette ville. Vous y arrivez en milieu d'après midi. Le bâtiment de la Gotsinitsa est un peu à l'écart de la route. Un bâtiment glauque, dont la moitié des fenêtres sont murées. Patrick va en reconnaissance. Il ressort entouré de deux policiers. Le bâtiment n'est plus un hôtel, mais un bureau fédéral. Les policiers sont accueillants. Ils passent des coups de téléphone pour vous trouver une solution. Vous ne comprenez pas tout, mais vous suivez. Ils vous conduisent à un immeuble qui semble à moitié habité. Un appartement meublé au quatrième étage. Vous y laissez vous affaires, puis allez au commissariat. Là le boss vous reçoit dans son grand bureau. Une télévision évoque les évènements en Ukraine. Comme à chaque fois, tu sens que la sensibilité sur le sujet est grande.

Le boss parle plutôt bien l'Anglais et vous donne des informations sur vos routes du lendemain. Patrick souhaite atteindre Magadan et toi Seymchan, le port sur le fleuve Kolyma.

Vous allez ensuite garez les motos dans un garage fermé. Alors que vous discutez avec le propriétaire du garage, celui ci remarque que tu attires particulièrement les nuages de moustiques. Il t'offre un flacon d'anti-moustique pensant que tu n'en as pas. Tu t'en vaporise, et .... et alors... les moustiques s'en sont allés. Patrick te l'avait dit : c'est ton anti-moustique Isérois qui attire les moustiques Sibériens. A chaque région son espèce de moustique, et à chaque espèce son anti-moustique. Effectivement, l'anti-moustique local est beaucoup plus efficace que même l'anti-moustique Australien (qui est pourtant célèbre pour faire des trous dans les tapis, le plastique et même dans les moustiques). De nouveaux horizons s'ouvrent à toi. Tu comprends désormais pourquoi les habitants de ces villes ne portent pas comme toi leur petit nuage tourbillonnant au dessus de leur tête. Tu te demandais ce que tu avais de si particulier, et tu viens de comprendre que c'était ton anti-moustique qui te distinguait des autres.

Enfin, les policiers vous raccompagnent à l'appartement. Vous n'avez pas compris ce qui vous arrivait, mais vous êtes chanceux, et il ne faut pas trop se poser de question.

Quelques courses à l'épicerie du coin. Tu vois un terminal Visa. Peux tu l'utiliser ? Bien sûr! Tu payes donc 4 cuisses de poulet, deux oranges, un gros morceau de pain, deux glaces, un litre de bière et encore quelques broutilles avec ta belle carte Visa toute neuve. Le tout pour une quinzaine d'euros.

Une bonne douche, un bon repas et vite de l'internet. Patrick qui a une plus longue route que toi a donné rendez vous aux policiers à 8 heures pour que l'on récupère les motos. Il avait juste oublié que l'on venait d'un coup de prendre deux heures de décalage horaire.

Vous échangez vos coordonnées, les adresses de vos blogs. Voici celle de Patrick :

http://blinkenzomg.wordpress.com/

 

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