La Carretera Austral ICON_SEP Print ICON_SEP

 

Mardi 18 Janvier 2011

 

Vous quittez l'hostel le matin après une séance photos autour de Toeuf Toeuf. Elle joue les vedettes américaines devant un photographe venu de Pologne! Les hostels restent les meilleurs endroits pour rencontrer des voyageurs de toutes nationalités et pour discuter avec eux. Les voyageurs discutent plus facilement que les locaux. La barrière de la langue est moins haute.

 

Juste après Los Antiguos, un premier passage de douane pour Claire. Un plaisir! Les douanes entre l'Argentine et le Chili sont on ne peut plus rapides. Le douanier utilise ton « Carnet de Passage en Douanes » et remplit pour toi le formulaire. Une ombre au tableau : vous aviez conservé quelques fruits sur vous. Il faut les abandonner à la poubelle du contrôle sanitaire. C'étaient des superbes cerises de Los Antiguos... Dommage.

 

La pluie est annoncée pour toute la journée, mais vous avez droit à un beau soleil. Il faut en profiter. Claire, en charge des photos, s'essaye à prendre des clichés en roulant. Elle admire aussi le paysage. Elle comprend que la moto sur piste, cela occupe, mais uniquement le conducteur.

 

Que fait la pluie demande Claire? La question n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. La pluie, en retard, arrive en courant. Elle s'excuse de son retard et se met au travail : elle vous arrose méthodiquement, de haut en bas. Sans oublier les petits trous de vos combinaisons de pluie. Avec l'aide de ses collègues de Patagonie : le vent et le froid, elle arrive à s'infiltrer dans tes bottes et tu sens tes pieds patauger dans une eau glacée.

 

Vous poursuivez stoïques jusqu'au prochain village. Là, vous vous réfugiez dans un café où bon nombre de backpackers vous ont devancé. Un café chaud, mais aussi une bonne tarte au citron pour vous remonter le moral. Vous repartirez quand la pluie aura faibli. Mais la fin de journée reste dans la même ambiance : pluie et froid. Vous repartez quand même.

 

Vous êtes têtus, et décidés à atteindre Coihaique, la capitale régionale. Une journée de 400km sur une petite route de montagne non goudronnée. Vous arrivez donc le soir, fourbus, trempés et frigorifiés. Vos vêtements de pluie ont plutôt bien résisté... sauf les bottes. Vos pieds sont trempés et gelés. A l'hostel, la première chose que vous faîtes est de prendre une douche chaude.

 

L'hostel est tenu par un couple d'Allemands. Il doit être bien répertorié dans les guides en Allemand car tous les autres hôtes sont Allemands, ou Suisse Allemand. A l'exception de Doug, un jeune Américain qui travaillait dans une ferme plus au Sud et qui rentre demain dans son Nouveau Mexique.

 

Un couple de motards : Patrick et Jana. Vous vous racontez des histoires de motards. Toujours le souci du passage à Panama. Il paraît que le célèbre voilier Allemand qui fait la navette entre Carthagène et Panama fera son dernier voyage fin Février. Trop tôt pour toi. Il faudra trouver autre chose. Tout le monde disait du bien de ce voilier... Mais il y aurait aussi un Catamaran : Fritz The Cat. A rechercher sur internet.

 

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Mercredi 19 Janvier 2011

 

La pluie s'est arrêtée. Vous restez à Coihaique pour vous reposer. Quelques courses : recherche d'une blanchisserie, achats des billets de bateau pour joindre Chiloe en fin de semaine, …

Dans l'après midi, vous allez faire une promenade dans le parc qui domine la ville. Tout est vert, une forêt anormalement dense pour une telle latitude. On croirait une forêt tropicale. Le contraste avec l'autre coté des Andes est saisissant.

 

Le soir, tu t'occupes un peu de Toeuf Toeuf que tu as délaissée ces derniers jours. Un peu d'entretien. Tu remplaces le câble d'embrayage qui ne tenait plus qu'à un fil. Il était temps de le faire! Tu resserres aussi les boulons de ton nouveau « bloc compteur » qui bringuebale allègrement.

 

Vous décidez de vous faire à manger avec ton réchaud à essence. Tu n'arrives pas à le démarrer... Il en sort une flamme énorme qui brule toute l'essence du réservoir. Manuel, un jeune Suisse Allemand étudiant à Buenos Aires, possède le même réchaud et un kit de réparation. Il t'aide à comprendre le souci : les vibrations de la moto ont dévissé le gicleur qui se promène au fond du réchaud. Tu as perdu une pièce, mais Manuel la trouve dans son kit. Il te l'offre. Une nouvelle fois, tu as bien de la chance!

 

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Jeudi 20 Janvier 2011

 

Tu consultes une dernière fois la météo : les deux prochains jours affichent tristement « fortes pluies ».

 

Départ en fin de matinée pour l'objectif de la journée : Puyuhuapi. Seulement deux cent kilomètres dont les 80 premiers sont de la vraie route. Non seulement de la vraie route, mais aussi un répit de la pluie.

 

Mais un répit ne dure pas. La pluie arrive. Légère tout d'abord, puis plus forte. Tu comprends pourquoi ce pays a tant d'eau. Dire que tant d'autres en manquent... Vous passez devant des cascades magnifiques, des lacs grandioses, des étangs... Vous traversez des torrents furieux, des ruisseaux furieux, des fleuves furieux, des fjords... Aussi des flaques d'eau profondes, des trous d'eau profonds, des mares profondes, ... L'eau est partout. Jusque dans tes bottes.

 

Vous testez votre nouvel équipement dernier cri : des gants de ménage étanches aux mains, et des sacs poubelles sur les bottes. Les gants remplissent bien leur fonction. Les sacs poubelles pas trop mal... Les pédales de sélection de frein et de sélection de vitesse finissent par les crever. Mais tu as les pieds plus secs qu'il y a deux jours. Ou moins trempés.

 

Lors des rares arrêts, il faut s'abriter. Claire a trouvé le truc : elle se fait toute petite et s'installe sous une feuille de fraisier ou de trèfle à cinq feuilles. Elle fatigue et son estomac est un peu secoué par les virages, les zigzags que tu effectues pour éviter les trous, et par les trous de la piste que tu n'as pas réussi à éviter.

 

Vous croisez plusieurs fois des motards, et encore plus souvent des cyclistes. La Carretera Austral est une grande classique pour les randonneurs à deux roues. Il y a tellement de motards, que ceux-ci ne s'arrêtent même pas quand vous les croisez... Ou alors c'est qu'ils snobent Toeuf Toeuf du haut de leurs grosses BMW. Une seule fois, un motard indien s'arrête. Il finit sa descente depuis les Etats Unis. Mais il ne s'attarde pas.

 

Puyuhuapi. Un petit village de pêcheurs. Une halte aussi pour les voyageurs. Quelques hôtels, et quelques restaurants sous des toits de tôles. Claire préfèrerait un hostel, mais tu optes pour le premier hôtel. Tu veux un chauffage dans la chambre pour sécher les vêtements et les bottes...

 

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Vendredi 21 Janvier 2011

 

Vous repartez sous la pluie. Vous aurez fait 90% de la Carretera Austral sous la pluie. Un paysage toujours noyé par l'eau, caché par les nuages.

 

Depuis trois jours, vous ne faites pratiquement plus de photos. Il faut déjà que Claire fasse des efforts pour sortir l'appareil photo de dessous de ses vêtements de pluie, mais tu sais que l'appareil n'apprécie guère l'humidité. Autant s'abstenir. Vous aurez traversé trois jours de paysages magnifiques sans prendre de photo.

 

Vous avez un peu plus de 200km à faire aujourd'hui, dont les cinquante derniers sont goudronnés. Finalement, Toeuf Toeuf s'est très bien comportée sous la charge et sur la piste. Les pistes étaient bien faciles à avaler. Tu calcules qu'elle porte environ 230kg en plus de son poids à vide, 160kg. Elle a très bien supporté cette charge et à aucun moment tu ne vous a sentis en insécurité.

 

La destination du jour est Chaiten, d'où vous prendrez demain après midi un bateau pour Castro, sur l'île de Chiloe. C'est pour vous aussi la fin de la Carretera Austral. Elle se poursuit encore jusqu'à Puerto Montt, mais par segments interrompus par des fjords qu'il faut aussi traverser en bateau.

 

La pluie vous accompagne à nouveau tout au long du trajet. Grâce aux gants de ménage et aux sacs plastiques, vos pieds et vos mains sont épargnés. Mais aidée par le vent, la pluie s'infiltre au niveau de la taille. Elle mouille le haut de vos pantalons et le bas de vos polaires et pull-overs. Un mauvais moment à passer.

 

Chaiten. Une ville fantôme. En 2008, l'éruption du volcan voisin a condamné la ville. Les cendres l'ont balayée, recouvrant les maisons. Les autorités souhaitent la détruire, mais certains habitants ont décidé de rester. Les autorités refusent de reconstruire, mais la ville survit. L'électricité n'a pas été ramenée, l'eau courante non plus. Les derniers habitants ont appris à vivre sans les services publics. Ils ont acheté des groupes électrogènes et des réservoirs dans lesquels ils récupèrent l'eau de pluie. Les pluies sont généreuses par ici.

 

Les trois quarts des maisons sont abandonnées. Des tas de cendres un peu partout. Une ambiance à la « Dogville ». Etrange. Quelques habitants déambulent. Tout le monde observe tout le monde. Chacun se demande : pourquoi cette ville vit elle encore ?

 

Vous choisissez un hôtel bon marché. Il y a deux ou trois hôtels qui semblent encore ouverts à Chaiten. La propriétaire, une vieille femme, est à l'image de la ville : elle ne doit jamais plus sourire. Elle ne parle pas, mais répond aux questions qu'on lui pose. Elle raconte les difficultés.

 

La chambre est propre. L'eau chaude est froide, et l'électricité ne sera mise qu'après huit heures. Peu importe. La notion de confort est secondaire ici.

 

Vous sortez vous promener. La ville est trop grande pour le nombre de ses habitants. Seules certaines maisons ont été réhabilitées. Entre elles, un grand nombre d'habitations désertées. Leurs propriétaires les ont elles abandonnées ? Sont ils morts ?

 

Vous passez devant la pharmacie. Sur la vitre, une feuille de papier indique les horaires d'ouverture, mais les rideaux sont baissés. En regardant entre les rideaux, tu réalises que cette pharmacie a été vidée. Il ne reste plus que de la poussière de cendre au sol. Comme un peu partout...

 

Officiellement, la ville existe sans exister. Elle est présente sur les cartes, mais ses hôtels et ses commerces ne sont pas listés sur les guides officiels de la Carretera. Les « autorités » voudraient la rayer de la carte, mais la vie s'accroche. La route et son port lui apporte un reste d'activité. Ils drainent les touristes et les habitants du Sud qui, comme vous, attendent le ferry pour Chiloe. Il suffirait de fermer le port pour étouffer définitivement ce qu'il reste de vie ici.

 

Le soir, vous allez diner dans un restaurant. Il y avait avant bon nombre de restaurants, mais vous apprenez à reconnaître les établissements abandonnés. Dans la salle, deux couples de touristes Européens et un couple de chiliens. La serveuse est débordée. Il n'y a que deux bateaux par semaine pour Chiloe. La majorité des véhicules poursuivent la Carretera vers le nord, pour prendre la succession de bacs qui mènent à Puerto Montt. Seuls quelques véhicules embarqueront ici.

 

De retour à l'hôtel, vous retrouvez Toeuf Toeuf qui reste sur le trottoir, sous la pluie. Le trottoir est détruit après l'hôtel, et d'ailleurs, plus personne ne l'emprunte. Tu n'as pas demandé s'il y avait un abri pour elle. Elle l'aurait pourtant bien mérité.

 

L'hôtel est face à la plage. La plage est aussi recouverte de cendres. Un torrent de cendres qui avait emporté des arbres et des maisons.

 

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