Tabriz ICON_SEP Print ICON_SEP

Vendredi 9 Juillet 2010

Tabriz n'est pas une belle ville. C'est vrai que tu as Ispahan en tête, et qu'il est difficile de supporter la comparaison. Il y a certainement des belles choses à voir dans les alentours, mais pas à Tabriz. Et tu n'as pas le courage d'affronter le soleil pour t'y rendre.

 

Les gens que tu rencontres te dises parler Turc, et ne pas bien comprendre le Perse. Certains se disent Turcs. Tu ne sais pas trop ce qu'ils entendent par là. Possèdent-ils la nationalité turque, ou sont ils juste Turcs ethniquement?

 

Le Vendredi, tu te balades, te perds souvent. Rares sont les gens qui connaissent un mot d'Anglais. Mis à part : « Where are you from? ». Mais tu gardes précieusement la carte de l'hôtel et tu la montres à un passant quand tu crains d'être trop éloigné. Certains de disent Yes. D'autres te disent No. Enfin, certains te parlent 5 minutes avant de lever le bras pour te montrer une direction.

 

Tu vois une mosquée. Tu t'en approches. Les portes sont fermées. Un homme discute à travers le portail avec un autre, à l'intérieur. Tu leur demandes si tu peux rentrer pour visiter. L'homme de l'intérieur parle un peu Anglais. Il t'ouvre le portail. Il t'explique que tu es dans un institut de théologie. Tu fais le tour seul, mais les accès à la mosquée sont fermés. Tu traverses des cours, des jardins. L'endroit est bien agréable. L'homme te rejoint quand tu souhaites ressortir, et te propose de prendre le thé. Vous rentrez dans la partie réservée à l'enseignement, après avoir retiré vos chaussures. Vous allez dans une petite salle où se trouvent des tapis, un samovar et une télévision. Vous êtes rejoints par deux autres étudiants en religion. Ils ont 21, 28 et 35 ans. Celui qui a 35 ans fait plus vieux que toi. Celui qui parle un peu Anglais a 28 ans. Il est fin, toujours souriant, le regard illuminé. Ils souhaitent tous discuter, te poser des questions.

 

Leur sujet de prédilection est bien-sûr la religion, que tu connais encore moins que le théâtre dramaturgique. Quelle est ta religion? Es tu musulman? Tu te souviens qu'expliquer l'athéisme est difficile. Que dans les pays musulmans, on n'imagine pas ce concept. Une religion est comme une nationalité, et l'apatride n'existe pas. Tu te souviens aussi que tu as été baptisé pour faire plaisir à la grand-mère. Tu ne veux pas les choquer et te déclares donc, pour la première fois de ta vie, catholique.

 

Ils veulent tout savoir sur les livres saints catholiques. Ta seule culture chrétienne provient du film « Jésus de Montréal ». Tu essayes d'éluder les questions, mais le sujet les intéresse trop. Ils attendent chaque réponse avec un grand intérêt. Toi, tu sors des généralités. A chaque question, à chaque réponse, celui qui parle un peu Anglais traduit pour les deux autres. Ils ont l'air passionnés, mais le sujet te fatigue.

 

On change de sujet. As-tu un leader ? Eux avaient l'iman Khomeyni, ils ont maintenant l'ayatollah Khameyni. Leurs guides, leurs leaders. Tu réalises combien ces leaders sont importants pour eux. Combien ces hommes sont puissants. Combien le pape est, en comparaison, un acteur de second rôle. Non, tu n'as aucun leader. Tu ne leur dis pas, mais tu te sens heureux de ne pas en avoir.

 

Zidane est-il musulman? Ils l'adorent, mais il ne sont pas certains qu'il soit musulman. Tu n'en sais rien, sauf que ses parents étaient de bons musulmans pour l'avoir appelé Zinedine. Tu expliques qu'en France, les religions sont multiples et font partie de la sphère privée. Ils sont déçus de ne pas avoir une réponse ferme. Aimes-tu Zidane? Tu l'aimais bien jusqu'à ce qu'il perde la tête. Ils sont encore déçus.

 

Le thé est bon, mais tu t'échappes. Tu sens qu'ils auraient passé la journée à te poser des questions. Tu erres un peu dans le bazar qui se vide, te perds de nouvelles fois, puis rentres, faire une longue sieste.

 

Finalement tu ne resteras pas deux nuits, mais trois à Tabriz. Tu souhaites donner encore un peu de repos à ton corps, à tes intestins. Tu veux aussi discuter avec Soleyman, le Toulousain, et visiter la Mosquée Kabud, seule attraction touristique de la ville. Et puis, tu n'as toujours pas décidé la suite de ton parcours. Tu renonces à Ispahan, trop chaud, trop loin, mais tu hésites entre aller chercher la fraîcheur sur la côte de la mer Caspienne ou descendre au moins jusqu'à Hamadan avant de rejoindre Téhéran. Tu dois encore étudier le Lonely Planet.

 

Tu sais désormais qu'il te faut t'organiser pour rouler le plus tôt possible. Ou de nuit?

 

Dans Tabriz, la majorité des femmes portent un voile noir, couvrant l'intégralité du corps, sauf le visage. Tu ne te souvenais pas que ce type de voile soit si fréquent en Iran. Peut être est-ce typique de Tabriz.

 

Sur le palier de l'hôtel, un seul lavabo, à coté de la porte de ta chambre. Hommes et femmes se succèdent. Les femmes viennent y faire leur toilette en conservant le voile. La loi oblige de couvrir le corps et la chevelure dans les lieux publics. Tu te souvenais qu'à Shiraz, la majorité des femmes s'habillaient à l'européenne, et seul un foulard fantaisie, pas toujours bien positionné, était ajouté sur les cheveux pour raison légale. Ici, les bonnes mœurs semblent beaucoup plus exigeantes.

 

Samedi 10 Juillet

Tu te lèves tôt, pour prendre le rythme. Tu lis quelques pages de l' « Usage du Monde ». Nicolas Bouvier, après le poste frontière de Maku, avait séjourné six mois à Tabriz. Tu apprends que Tabriz faisait alors partie de l'Azerbaïdjan, dont la frontière est aujourd'hui à 80km. La ville est iranienne, mais elle a souvent changé de tutelle. Elle est proche de l'Arménie, de la Turquie, et de l'Azerbaïdjan. La langue qu'on y parle, un dérivé du Turc, est utilisée jusqu'en Asie Centrale.

 

Tu te rends à la mosquée Kabud. Tu commences enfin à moins te perdre. La mosquée fut une merveille, mais les multiples tremblements de terre, et les multiples guerres l'on trop souvent détruite. La ville fut d'ailleurs bombardée puis occupée par les irakiens lors de la guerre Iran-Irak (les années 1980). Sur les murs de la mosquées, intérieurs et extérieurs, il reste les vestiges de belles céramiques bleues qui couvraient jadis intégralement la mosquée.

 

Tu passes ensuite au musée de Tabriz. Une seule salle, pas bien grande, et au sous sol, l'exposition d'un sculpteur contemporain. Le sculpteur a vécu en France où il sculptait les marionnettes des Guignols de l'Info pour Canal plus. C'est indiqué en Français... Mais l'exposition correspond à une période bien plus tourmentée : la guerre principalement.

 

En ville, le traumatisme de la guerre semble s'effacer petit à petit. Tu ne verras qu'une seule peinture murale sur ce sujet. La guerre Iran-Irak fut terrible, une guerre de tranchées comme 14-18. Coté Iranien, des millions de morts et l'Ouest du pays ravagé par les bombardements. A cette époque, Sadam Hussein avait avec lui toute la « Communauté Internationale ».

 

A nouveau, tu rentres dans le bazar. Le bazar a conservé son architecture, mais, mis à part les marchands d'épices, les produits sont aussi modernes et aussi variés que chez les commerçants de la rue. Dans le bazar, les allées forment un véritable labyrinthe. Parfois, des cours intérieures. Parfois, des salles voutées géantes. Tu te perds.

 

Dans le centre de Tabriz, une personne sur deux, voire davantage, est un commerçant. Il y a ceux du bazar, ceux qui ont un magasin sur rue, et puis ceux qui vendent sur le trottoir. Là encore, une grande diversité. Les plus déshérités, des personnes âgées, n'ont à vendre que deux ou trois boîtes de Kleenex. Ils ont souvent le regard ailleurs. Attendent-ils des clients, ou un geste charitable?

 

Tu rejoins l'hôtel en passant saluer Soleyman. Il répond à tes questions matérielles, sur le prix de l'essence, sur les taux de changes. Il t'explique que ce Samedi les banques sont fermées car nous sommes un jour férié.

 

Soleyman vivait à Toulouse où il avait suivi des études de ressources humaines. Il a dû rentrer à Tabriz lors du décès de son père, pour reprendre les affaires de ce dernier : une fromagerie et cette épicerie. Depuis, il revient régulièrement en France. A Tabriz, il vit en famille et, pour ne pas s'ennuyer, joue au tennis, fréquente un cercle d'amis.

 

Il t'explique aussi que les 40°C sont bien au dessus des températures habituelles. Qu'il fait très chaud au Sud, mais que Tabriz est connue pour sa douceur. Voire pour ses températures très négatives l'hiver. Que tu n'as pas de chance de trouver une telle température ici.

 

Tu commences à moins souffrir de la chaleur. Déjà parce que tu t'y adaptes. Tu es sorti tôt. Tu fais la sieste aux heures les plus chaudes, et tu ne ressortiras qu'en fin d'après midi. Peut-être aussi fait-il un peu moins chaud que Jeudi. Tu apprends aussi à longer les murs, toujours à l'ombre.

 

Soleyman t'a écrit sur un papier « Je pars demain à 5h, à quelle heure ouvrez vous ? ». Tu utilises ce papier à la fois pour l'hôtel et pour le parking. L'homme qui garde l'hôtel jour et nuit ne parle pas un mot d'Anglais. Le premier jour, vous avez eu bien des difficultés à remplir la fiche. Il restait une information « Pédar » que tu ne comprenais pas, malgré des gestes et mimiques variés. Il s'agissait au final du prénom du père. Tu avais oublié que cette caractéristique apparaissait sur toutes les formalités en Iran. Probablement pour éviter les homonymies, car le lieu de naissance est rarement utilisé.

 

Tu demandes à Soleyman où se trouve le quartier des cybercafés, pour pouvoir poster ces textes. En fait, pas très loin du centre, mais au sud, la seule direction que tu n'avais pas explorée. A Tabriz, on ne capte pratiquement jamais de signaux wifi. Tu écriras et publieras moins souvent lors de ton séjour en Iran.

 

Finalement, tu t'es décidé pour faire une petite étape de 300km demain matin. Départ le plus tôt possible... Tu atteindras Zanjan, et, là, tu décideras de la suite : montée sur la Caspienne, ou descente sur Hamedan.

P1000804
P1000804
P1000807
P1000816
P1000821
P1000823
bwd  Serie 1/4  fwd