Zanjan, sa jeunesse. ICON_SEP Print ICON_SEP

Dimanche 11 Juillet 2010

 

Tu voulais quitter Tabriz à 5h pour profiter de la fraîcheur, mais le temps de récupérer toeuf-toeuf, de la charger et de faire le plein, tu as pris une heure de retard.


Tu as peur de retrouver trop rapidement la chaleur. Mais, très vite, tu as froid quand tu traverses des zones humides. Tu as froid! Ce froid te rend d'abord euphorique. Tu le savoures dans tout ton corps. Au bout d'un quart d'heure, ton euphorie est refroidie et tu décides quand même de t'arrêter pour mettre ta veste coupe-vent. Suffisant pour que le froid soit ramené à une agréable fraîcheur.


Peu de monde sur l'autoroute. Aux péages, les motos sont théoriquement interdites. La tienne est hors catégorie car les motos en Iran sont limitées à 200 cm3. Mais on te laisse passer à chaque péage, un geste pour te dire d'y aller. Sans jamais te faire payer. Sans jamais te rappeler l'interdiction pourtant bien affichée sur des grands panneaux.


L'autoroute est vraiment facile. Tu roules plus vite que d'habitude. Les paysages sont magnifiques, mais tu es pressé par la crainte d'être rattrapé par le soleil. Tu as 300 km à faire. 3 heures. Une heure de froid, une heure de douceur, et une heure de chaleur tout à fait acceptable.


L'autoroute n'a pas été clôturée. Parfois, elle passe près de vieux villages. Sur le dernier tiers, tu décides de rentrer dans l'un ces villages, aux maisons en terre, dont la moitié semblent abandonnées. Tu n'oses pas avancer trop profondément. Un jeune homme sur une moto. Tu arrêtes ton moteur. Tout ce que tu sais dire est « Salam ». Pas de réponse. Le temps que tu poses ton casque, l'homme démarre et s'en va. Un chien maigre arrive, puis un deuxième. Ils aboient mais restent à distance, bien plus inquiets que toi. Un enfant sort, mais rentre aussitôt. La plupart des hommes doivent être déjà aux champs. Les femmes ne sortiront pas et tu dois inquiéter. Les chiens aboient toujours. Tu décides de repartir.


Tu arrives comme prévu à Zanjan peu après 9h. Tu fais un tour de la ville, à la recherche d'un hôtel. Tu en as bien vu un à l'entrée, mais le centre ville doit en proposer d'autres. Tu as le temps pour choisir. Tu tournes, sans rien trouver. Zanjan est une ville bien agréable, beaucoup de verdure. Mais elle semble limitée pour l'hébergement.


Tu décides de demander aux passants, mais aucun ne répond aux critères « Anglais très probable ». Tu essayes deux policiers. Ils se regardent, rigolent. Ils sont jeunes et bien gênés que tu les aies choisis. Ils semblent te dire « Pourquoi nous? ». Ils finissent par comprendre « hôtel ». Ils t'indiquent une direction. Tu redémarres, remontes ta béquille. Un bruit... le ressort de rappel de ta béquille est sur le trottoir. Fixation supérieure cassée, en deux morceaux. Tu grimaces. L'un des policiers va chercher une ficelle dans un magasin proche. L'autre est en quête d'un anglophone.


Tu rencontres « Ali », un commerçant retraité qui parle Anglais. Ali te guide chez un mécanicien moto. 10 minutes plus tard, la patte est ressoudée, tout est réglé. Magique! Tu ne pensais pas t'en sortir à si bon compte.


Ali se propose de te conduire à un hôtel, et t'offre de passer d'abord chez lui prendre le thé. Tu acceptes. Sa maison est belle et grande, mais en travaux. Il est accueillant et bienveillant. Il t'aurait bien hébergé si il n'y avait eu ces travaux. Ali appelle son frère qui peut te loger dans sa maison de campagne, à proximité de la ville. Ali est heureux de parler Anglais, mais surtout de te présenter à ses neveux, à ses petits enfants. Que tu leur parles de ton voyage. Tous apprennent l'Anglais et ont rarement l'occasion de le pratiquer. Ali souhaiterait qu'ils aillent poursuivre leurs études à l'étranger. Eux aussi le souhaiteraient..


La famille d'Ali est très soudée. Les cousins sont très proches. Ils sont heureux de découvrir ton voyage. Ils te parlent de l'Iran.


Ali ne s'appelle pas Ali. Tu as changé son nom car tu crains de lui créer des soucis, à lui ou à ses neveux. Ils sont, dans leurs paroles, opposés au régime actuel. Surtout les neveux. Mais cette opposition peut encore être dangereuse, un an après la répression des manifestations post-électorales. Tu ne donneras pas de nom ni ne publieras pas de photos de cette famille accueillante.


Tu passes la journée avec les cousins. Le matin, vous vous promenez dans les champs en contrebas de la maison. Tu es heureux de retrouver un peu la nature. A midi, le frère d'Ali a préparé un bon repas. Puis vous retournez en ville, faire un peu de tourisme.


Le musée n'a pas grand intérêt, si ce n'est le bâtiment. Le centre ville est aussi très commercial. Ici, quelques femmes portent encore le tchador, comme à Tabriz, mais beaucoup sont dans des tenues plus fantaisistes, maquillées avec soin. L'atmosphère semble beaucoup moins stricte. Seul le foulard imposé par la loi est omniprésent.


Tu aimes bien Zanjan. Tu t'y sens bien. Tu n'es plus gêné par la chaleur. En fin d'après midi, vous faites le tour du bazar. Plus petit que celui de Tabriz, mais plus agréable et plus joli. Tu prends beaucoup de photos. Dans une cour, tu aperçois une belle salle, avec de magnifiques mosaïques anciennes. Tu prends une photo de l'extérieur, mais les occupants vous autorisent à rentrer. Le plafond est impressionnant. Les cousins t'expliqueront que ce bureau est occupé par des bassijis. Une organisation proche du pouvoir qui joue un rôle d'assistance sociale, mais aussi de contrôle. Les bassijis sont les ennemis des jeunes de la mouvance verte, et réciproquement.


Vous rentrez dans un ancien caravansérail pour prendre un thé. Les salles sont belles. La table voisine n'est occupée que par des femmes : une suédoise qui semble malade, probablement surprise par la chaleur, une iranienne vivant en Suède et deux Iraniennes. Elles ont commandé une pipe à narguilé, mais les serveurs refusent de l'apporter car il n'y a aucun homme avec elles. Les deux Iraniennes ne sont pas timides. Elles viennent malicieusement nous trouver pour que l'on en commande une, pour elles. Le subterfuge fonctionne, mais le serveur est furieux. Après elles, après nous. L'un des cousin est convoqué à la caisse. Tout cela n'est pas bien grave, mais on décide de faire table commune pour sauver les apparences. On papote un peu. Seul le serveur reste furieux de s'être fait berné.


On quitte le bazar, et on remonte les « Champs-Elysées » locaux. Nombreuses sont les personnes avec un portable en main. Les cousins reçoivent souvent des appels. Le plus âgé, « N », t'explique qu'il parle à ses amies. La soirée s'organise. Nous allons retrouver sa « Girl Friend », irons dans un fast-food, puis assisterons à la finale de la Coupe du Monde devant un écran géant, dans un amphithéâtre extérieur, tout en haut de la ville. Et nous finirons la journée avec un verre de whisky. Tu es d'accord pour tout, sauf pour le dernier verre. Tu préfères leur laisser ce breuvage rare qui ne te manque pas. L'alcool est interdit, il est très dangereux de se faire prendre avec, mais la prohibition engendre l'envie de la braver. Et tu regrettes de t'être délesté de ton Cognac.


Le téléphone est devenu essentiel dans la vie des jeunes. Garçons filles s'échangent leurs numéros. Ils peuvent ainsi se parler autant qu'ils le souhaitent. Se fixer des rendez-vous dans les quartiers résidentiels où il est simple d'échanger quelques paroles. Enfin, ils peuvent aussi se retrouver dans les endroits branchés, tels que les « fast food » où ils montent dans les salles en étage pour éviter d'être aperçus par la famille, les voisins.


Pour un garçon, aborder une jeune fille pour lui demander son numéro de portable est devenu un geste presque anodin. Les relations entre jeunes se sont donc beaucoup développées avec la technologie, mais le contact physique est encore proscrit.


Tout se passe comme prévu. La Girl Friend de « N » est infirmière, comme l'amie avec qui elle est venue. Elles ont toutes les deux de magnifiques coiffures sur lesquels les foulards réglementaires semblent être des ornements secondaires. Elles te parlent des difficultés de l'hôpital, de l'obligation de travailler en tenue islamique. L'amie est un peu plus âgée. Elle est mariée. Son mari vit aux USA d'où elle a été refoulée, faute de carte verte. Les Iraniens ne sont pas en odeur de sainteté aux Etats Unis.


Vous quittez les infirmières pour aller regarder la finale de la Coupe du Monde de foot, qui ne les passionne pas. Pourtant, nombreuses sont les femmes installées dans l'enceinte où se déroule la projection. L'ambiance est animée, et le public partage son soutien entre l'Espagne et la Hollande.


Le match terminé, il vous faut bien une demi-heure pour sortir de la jungle du parking. Vous rentrez. Il est bientôt trois heures quand vous rejoignez la maison de campagne, et tu commences à bien ressentir la fatigue d'une longue journée. Tu laisses les jeunes discuter jusqu'au petit jour, et tu vas dormir.


Tu as l'impression de comprendre un peu mieux la fracture iranienne. Entre les riches d'un coté, et les pauvres de l'autre. Entre ceux, souvent les plus jeunes, qui réclament du changement et ceux qui s'accrochent au passé. Entre ceux qui revendiquent la liberté de penser, et les plus pieux qui souhaitent rester unis derrière la hiérarchie cléricale. Entre ceux qui réussissent et les plus fragiles : personnes âgées, pauvres, illettrés.


Mais tes amis voient surtout la restriction des libertés, les freins aux progrès, une gestion du pays qui n'est pas optimale. Ils ressentent aussi la répression, craignent les bassijis. Accueillir un Européen n'est pas sans risque. Tu espères qu'ils ne souffriront pas de ton passage.


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