Arrivée sur Téhéran ICON_SEP Print ICON_SEP

Jeudi 15 Juillet 2010

 

Comme dab, tu démarres à 5 heures. Tu sais désormais que c'est la seule façon possible de voyager. Pour la première fois, la route te semble triste. Depuis la veille, le vent s'est levé et le ciel porte une épaisse couche de poussière. La nuit se prolonge par une semi-obscurité. Seul moment d'une grande beauté : le soleil levant apparaît subitement comme une boule blanche, créant derrière les collines des ombres chinoises qui se répètent un peu partout. Mais ce moment est éphémère ; après quelques minutes, le soleil a pris suffisamment de hauteur pour redevenir celui que l'on ne regarde pas.

Sur l'autoroute, tu t'arrêtes pour faire le plein. Comme tu n'as pas de carte, tu dois attendre que le pompiste apporte celle de la station. Une carte personnelle permet aux iraniens de payer l'essence au prix de 8 cents d'euros au lieu de 30 cents. A la pompe voisine, un paysan termine son plein. Il te propose de remplir ton réservoir. Tu refuses : tu veux payer ton plein. Le paysan se gare un peu plus loin, et revient avec un gros melon qu'il te met dans les mains. Puis s'en va, s'en rien dire. Il souhaite juste te faire un cadeau, te dire « Bienvenu dans mon pays! ». Tu as l'air malin avec ton melon, et il faut lui trouver sa place dans tes bagages.


Tu arrives peu après neuf heures sur Téhéran. Une très grande ville. Tu veux te rendre chez la mère de Behnaz et Pirouz, tes amis de Grenoble. Tu as déjà séjourné chez elle il y a cinq ans de cela, mais tu circulais alors en taxi, accompagné par Vincent, le mari de Behnaz, qui parle persan. Se déplacer était plus facile.


La circulation en Iran est exotique. Les véhicules ne suivent pas des lignes droites, mais chacun slalome à la recherche d'un passage. Aux carrefours, les voitures ralentissent, trouvent une trajectoire entre piétons et voitures, et les choses fonctionnent en général. Mais tu vois chaque jour des accidents. Souvent de la tôle froissée, mais pas seulement.


Tu n'as pas le choix : tu conduis à la méthode locale. Essayer de conduire à l'Européenne n'a pas de sens ici, et serait dangereux. A chaque instant, il faut être vigilant et sentir les véhicules tout autour de soi. Ne pas chercher à garder trop de distance car de suite, quelqu'un s'intercale dans l'espace que tu maintiens, et tu te retrouves encore plus à l'étroit.


Heureusement, les autres véhicules savent que tu es un conducteur à part. Toeuf toeuf est plus grosse que les 200 cm3 locales, les seules autorisées à la vente, et son chargement fait d'elle un convoi exceptionnel. Personne ne cherche à te frôler et, au contraire, tu te sens observé, plutôt en sécurité.


Tu t'arrêtes sur le bas coté pour demander ton chemin. Les passants essayent toujours de t'aider. Tu entends un gros choc. Un nouvel accident sur l'une des voies centrales, à ta hauteur. Probablement le conducteur regardait-il toeuf-toeuf et s'est-il fait surprendre par un ralentissement. Pas de blessé, mais les deux véhicules semblent bien abimés. Tu repars tête basse.


Tu cherches à te rendre au Nord-Est de Téhéran, dans le quartier de Pasdaran. Arrivé par le Sud, tu as longtemps roulé vers l'Est, puis une dizaine de minutes plein Nord. Tu t'arrêtes prendre un thé dans une gargotte. Tu demandes ton chemin. « 6 km au Nord ». Tu repars donc pour 6 km et redemandes « Pasdaran » : toujours au Nord, mais ton interlocuteur comprend l'anglais et évalue cette fois la distance restante à 20 km. Téhéran est vraiment étendue.


Tu passes dans une avenue où se succèdent les magasins de motos. Tu as toujours ton souci de fourche en tête, et tu décides de t'arrêter pour acheter un litre d'huile. Éventuellement, mais tu n'y crois pas, trouver les pièces détachées. Mais après trois ou quatre demandes dans des magasins, on t'explique que tu es dans la rue des vendeurs de motos iraniennes. Pas de fournisseurs de pièces détachées, ni de réparateur, ni de vendeur d'huile ici. On t'indique sur ton plan une autre rue, à 4-5 kilomètres à vol d'oiseau. Tu ne sais pas comment tu fais, mais tu trouves ce quartier... Après quelques demandes, un jeune homme te demande de le suivre. Cinq cents mètres plus loin, vous posez les motos, montez dans un immeuble. L'immeuble est comme un bazar. A chaque étage, les couloirs donnent sur des portes ouvertes qui mènent à autant de vendeurs de pièces détachées pour motos. Vous passez l'une des portes, et un peu partout, des pièces Yamaha, mais aussi d'autres marques japonaises. L'un des vendeurs descend avec un pied à coulisse pour mesurer le diamètre du tube intérieur de la fourche. Il cherche un joint équivalent, mais tu sais que cette côte n'est pas suffisante. Il faut aussi connaître le diamètre extérieur et la hauteur du joint. Par internet, il a accès aux nomenclatures des motos Yamaha, mais toeuf-toeuf n'est pas répertoriée. Le moteur est bien un mono-cylindre Yamaha, mais l'assemblage de la moto est l'œuvre de Yamaha-Italie. Et la diffusion s'est principalement faite par le réseau européen de Yamaha. La fourche, comme la majorité des composants de la partie cycle, est européenne. Cela complique les choses.


Le vendeur parvient à trouver un joint dont le diamètre intérieur correspond. Tu cherchais de l'huile, et eux semblent persuadés qu'il faut remplacer le joint spi. Tu ne sais plus quoi penser, mais tu ne peux pas déposer ton chargement et démonter la fourche en pleine rue. Tu reviendras en taxi avec le tube dans la main. Le lendemain, Vendredi, est férié, donc ce sera Samedi. Tu repars, direction « Pasdaran ».


Téhéran c'est un peu Los Angeles, en plus compliqué. Les distances se comptent en dizaines de kilomètres et la ville est parcourue par des « Express Ways » de deux fois 4-5 voies. Mais les Express ways ne forment pas un quadrillage. A cause du relief, elles vont un peu en tous sens, comme des spaghettis. Elles se croisent par des échangeurs géants, parfois perchés au dessus de la ville. Se fixer une direction n'est pas simple. Il faut connaître les noms, savoir quelle succession d'Express Ways prendre pour arriver à destination.


Il te faudra une heure et demi pour atteindre le quartier Pasdaran. Là, un homme en petite moto à qui tu montres l'adresse écrite en persan te propose de le suivre. Ta destination est de l'autre coté d'une Express Way, et rares sont les ponts qui passent d'un coté à l'autre. Le seul dans la zone est en sens interdit, sur deux voies, deux files continues de voitures. Vous le prenez donc, en contre-sens. Tu n'es pas fier.


Tu crois rapidement reconnaître l'impasse. Tu remercies ton guide. Mais tu n'oses pas sonner à la maison qui correspond à ton souvenir, car le numéro est différent de celui que Behnaz t'a indiqué. Tu demandes à la seule personne présente dans la rue. Vous cherchez le bon numéro. Vous comprenez au bout d'un moment que la numérotation a été refaite, vous sonnez et la mère de Behnaz ouvre. Il est 14h, tu es arrivé vers 9h à Téhéran. Cinq heures d'embouteillages, de pollution, de poussière, sous un soleil de plomb.


L'homme te dit qu'il ne faut pas laisser la moto dehors. Vous la rentrez, difficilement car tu ne peux pas attaquer les marches de face. A chaque fois, les gens t'aident autant qu'ils le peuvent. Puis s'effacent. Tu ne comptes plus les gens qui te rendent service, aujourd'hui, chaque jour.


La mère de Behnaz t'attendait et commençait à s'inquiéter. Vous êtes heureux de vous retrouver.