Les berges de l'Amou-Daria ICON_SEP Print ICON_SEP

Mardi 27 Juillet 2010

 

Au matin, une fois que le soleil a chassé les moustiques, tu sors de la toile et prends le temps de lire le Lonely Planet, de regarder la carte. Tu décides de revenir en arrière, pour rejoindre la route de Konye-Dugentch. Après le « Petit Achkabat », tu récupères la route de ta carte, vers le Nord. Elle est dans un état exécrable. Une route abandonnée -du moins par l'administration- mais qui reste empruntée par les riverains. Tu mettras deux heures à parcourir les 80 kilomètres.

 

A plusieurs reprises, tu traverses des cours d'eau. Tu es dans le long delta de l'Amou-Daria, un fleuve qui se jette dans la Caspienne et qui, depuis toujours, a fait la richesse de cette région. Mais, indirectement, a aussi provoqué ses malheurs : guerres, destructions de cités. Aujourd'hui, la région reste séparée entre le Turkménistan et l'Ouzbékistan. Staline en avait voulu ainsi : diviser pour mieux régner.

 

Konye-Dugentch est un site archéologique. De nombreux monuments du 12ème siècle, époque où la ville était la capitale de la région du delta, mais aussi l'une des capitales du monde musulman. Le fleuve passait alors près de la ville mais son cours dévia et de nombreux habitants durent migrer pour fonder Khiva (près de la frontière, mais coté Ouzbékistan).

 

Au guichet où tu payes ton billet, l'homme est prévenant. Tu peux laisser ta moto, ta veste, et ton casque sur le parking. Pas de souci. C'est vrai que le Turkménistan est un pays où l'on se sent en sécurité. Il t'explique aussi qu'il y a deux passages pour la frontière : l'un à Dachd-Guz, l'autre à Konye-Dugentch. Mais tu te souviens avoir lu Dachd-Guz sur ton visa, et de toute façon, tu dois désormais rouler vers l'Est. Il te dit que la route de Dachd-Guz est bonne.

 

Les ruines sont bien conservées. Un minaret, haut de cinquante mètres est visible de très loin. Aujourd'hui, il est bien seul sans la mosquée auquel il était attenant. Quand on arrive par le sud, on est aussi attiré vers le portique proche de la route. Un bâtiment dont la fonction reste inconnue mais dont le thème est le temps : 12 arches soutiennent la coupole qui est divisée en 365 segments de céramiques. Un immense calendrier, d'une grande beauté.

 

Quelques touristes Turkmènes sont présents, mais leur venue ressemble davantage à un pèlerinage qu'à une visite de vieilles pierres. Devant chaque bâtiment, un mollah leur récite une prière en échange d'un billet. Et ils prient. Ils embrassent chaque porte, et se livrent à des rituels à chaque monument. Leur islam est bien différent que celui que tu as rencontré jusque là.

 

Une jeune fille te demande « where are you from ? ». Deux jeunes hommes souhaitent se prendre en photo près de toi. Les rencontres n'iront pas plus loin. Tu sens de la gentillesse chez les gens, mais aussi de la réserve.

 

Au centre ville, tu visites le musée. Il est modeste mais bien construit : vivant, avec des scènes, sur le même modèle que le musée des Arts et Traditions Populaires à Paris.

 

Avant de partir, tu t'arrêtes pour prendre un thé. La serveuse est toute surprise de te voir arriver. Elle est émue. Elle ne parle pas un mot d'Anglais, mais elle voudrait que tu parles Russe. Dommage. Elle te demande ton prénom. Tu lui demandes le sien. Au moment de partir, tu sens sa tristesse de te voir partir si vite. Elle sort pour te regarder partir et faire un signe.

 

La route est meilleure que la précédente, mais pas terrible. Tu peux rouler à 80, plutôt qu'à 40, mais tu es secoué en permanence. Tu commences à t'habituer aux mauvaises routes. Tu as juste oublié ta dernière bouteille de limonade dans une sacoche : les vibrations, la chaleur et les chocs ont expulsé les deux tiers de son contenu dans ta sacoche. Pourtant, bouteille comme bouchon ont l'air intacts.

 

A l'entrée de chaque village, un contrôle de police. La plupart des policiers te laissent passer sans rien dire. Une fois, un policier t'arrête. Il te demande tes papiers, puis ton mobile. Il veut écouter de la musique pop. Tu ne veux pas t'éterniser et tu lui choisis « La Mer » de Charles Trénet,. Il est déçu. Il recherche d'autres morceaux, mais il reste dans le répertoire « Trénet ». Dommage pour lui. Il te demande, avec des gestes explicites, si tu as des vidéos pornos sur ton portable. Déjà en Iran un serveur de restaurant t'avait demandé ton portable, et montré ce qu'il cherchait sur le sien. Tu as compris mais désolé... pas de vidéo, rien. Déçu, il te laisse repartir.

 

Dachd-Guz est étendue. Tu arrives sur un grand hôtel par hasard. La réceptionniste refuse tous tes dollars. Même les billets neufs de $10, parce qu'il reste deux trous minuscules lorsque tu retires l'agrafe. Tu n'as plus qu'à aller voir les deux autres hôtels de la ville dont parle le Lonely Planet. Le second t'accepte sans sourciller, sans même inspecter les deux billets de $20 que l'on vient de te refuser.

 

Au Turkménistan, on applique aux étrangers un prix en dollar dans les hôtels. Le prix est 2-3 fois plus élevé que pour les nationaux. Pourtant, le pays, pourri par les ventes de gaz, n'est pas en manque de devises. Tu peux aussi payer en Manat, mais le taux de change rajoute alors encore un facteur deux. Bref, il faut avoir des dollars qui sortent de l'imprimerie.

 

Les hôtels ont un style soviétique. La chambre est spacieuse, immense. Mais la salle de bain est dans un état lamentable. C'était déjà la même situation à Achkabat.

 

C'est le début de l'après midi, mais tu iras te promener plus tard, quand la chaleur sera tombée. Tu en profites pour te mettre à jour dans ta lessive, et dans ton écriture.

 

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Mercredi 28 Juillet 2010

 

Le matin, tu sais que la frontière n'ouvre qu'à 9 heures. Tu profites donc du début de matinée pour faire du tri dans tes photos. Tu passes aussi au cyber-café de la ville, qui est situé dans le bâtiment de l'administration des Telecom. Les employés refusent que tu connectes ton PC, donc tu ne mettras pas le site à jour. Il faut aussi laisser ton passeport. Tu réalises qu'il y a plus d'employés dans la salle attenante que d'internautes (1 ou 2 pour une ville de plusieurs centaine de milliers d'habitants). Tu te doutes que ces employés, dans l'autre salle, risquent de suivre ton parcours sur internet. Le Turkménistan est un pays très surveillé.

 

Après avoir lu tes mails, tu pars sur le poste frontière, proche de la ville. Il n'est pas bien grand. On te demande ton passeport, et la feuille de route que l'on t'avait donnée en entrant. Un geste de la main pour te dire : « demi-tour ». Sur la feuille de route est indiqué : « Konye-Dugentch ». 120 kilomètres à refaire vers l'Ouest, pour rien, puis à nouveau la même distance en sens contraire coté Ouzbek. Il fait chaud. Un petit coup de blues. Tu montres ton visa mais c'est la feuille de route qui compte, et tu sais qu'il n'y a rien à dire...

 

Tu repars, et roules vite jusqu'à Konye-Dugentch. Tu t'y arrêtes pour déjeuner avant d'aller au poste fronntière, distant d'une vingtaine de kilomètres. Dans un quartier populaire, tu demandes, avec des gestes, un restaurant à un vendeur de boisson : « La maison d'à coté ». Tu n'aurais jamais deviné. Rien ne l'indiquait, et la porte était fermée. Une maison ordinaire. Effectivement, tu pousses la porte et tombes dans une cuisine. Un homme souriant te dit « miam-miam ». C'est bien ici.

Le repas est bon. Tout le monde est gentil, mais, comme dab au Turkménistan, pas très causant. On te demande 50 Manat, comme dans le désert. Mais quand tu tends un billet de 50, on le refuse, te montre un billet de 10. Tu te souviens que Tomasz t'avait indiqué qu'avec le passage de l'ancien Manat au nouveau Manat, il fallait diviser par 5 les prix demandés... Mais Jimmy, le gars de Darvasa, en plein désert, en avait profité pour te faire payer 5 fois le prix.

 

Tu quittes Konye-Dugentch pour prendre la route de la frontière. Tu recherches rapidement une station essence, mais il faut retourner au sud de la ville, et tu en as marre. Tu voulais remplir tes deux réservoirs, car tu te doutes que l'essence sera bien plus chère de l'autre coté de la frontière. Mais tant pis, tu trouveras probablement une autre station dans le village proche du poste frontière.

 

La route amène droit au poste frontière, qui est une ancienne station service. Mais pas de village, ni de station service. Tu rentres dans le poste frontière. Il faut attendre : les douaniers sont partis déjeuner.

 

Les formalités coté Turkmène prennent moins d'une heure. Tu rentres en Ouzbékistan. Là, les douaniers et les policiers sont efficaces, mais il y a du boulot... Il t'aident à remplir les déclarations, contrôlent aussi ton chargement. Tu dois sortir tes médicaments, qu'ils vérifient avec application. Ils fouillent aussi rapidement les sacoches, mais ont la délicatesse de ne pas s'intéresser à ton sac à dos, fixé avec le pneu sur le porte bagages. Il t'aurait fallu une demi-heure pour tout déposer et tout réinstaller. Seul problème : il faut impérativement que tu décides de ton point de sortie... Après hésitations, tu dis Tashkent, près du Kazakhstan. Tu n'iras donc pas au Kirghizistan, pour lequel tu avais pris un visa, et que Tomasz t'avait recommandé, malgré la guerre civile qui sévissait il y a encore un mois. Mais tu as pris du retard, et il faut maintenant accélérer le rythme.

 

Une fois sorti de la frontière, tu te diriges vite sur Nukus, la grande ville proche, à 70km. Tu dois changer de l'argent, et faire le plein. Il est 16h30 et tu crains la fermeture des banques. Tu mets du temps à trouver une banque. Heureusement, le mot « bank » semble international. Tu rentres dans le bâtiment : on t'explique difficilement qu'il n'y a pas de change ici. On te dit plus loin, à quelques kilomètres. Tu y vas, mais la rue s'arrête après 500 mètres. Tu retournes pour demander une adresse. Un autre guichet. « Exchange money? » Tu crois comprendre que c'est bon, mais que tu n'auras pas de certificat. Pas de souci... Tu changes $150. On te donne 270 billets. Trois liasses, avec un élastique.

 

Tu recherches maintenant une station service. Pas d'essence à la première. A la seconde, un vingtaine de voitures arrêtées, sans occupants. Mais deux trois jeunes sont présents. Ils affûtent des longs couteaux. Ils peuvent te vendre de l'essence, à $3 le litre. Une plaisanterie? Tu repars...

 

Petit à petit, tu saisis la situation : toutes les stations services sont fermées. Dans certaines stations des dizaines de voitures abandonnées. Un homme t'explique en anglais : «Plus d'essence Ouzbekistan. Cause deficit! ». Et tu viens de quitter avec tes réservoirs vides un pays où l'essence coule à flot pour 0,2 euro! Deuxième coup de blues de la journée. Il te reste environ 10 litres, du moins tu l'espères. Peut-être assez pour atteindre Urgentch, à 160 km, la prochaine grande ville vers le Sud-Est (celle qui est à coté du poste frontière de Dachd-Guz). Boukhara est à 600 kilomètres. 600 kilomètres de désert. Tu repenses que tu n'en étais pas si loin il y a cinq jours, quand tu t'étais rendu à Saraghs pour passer la frontière. Tout aurait été si simple si tu t'y étais pris différemment.

 

Il faut faire quelque chose, donc tu reprends la route, direction Urgentch. Mais tu quittes la zone verte pour rentrer dans un désert. Sans savoir ce qu'il te reste comme essence. Tu penses à « Mad Max ». Pas trop sérieux tout cela... Après trois quarts d'heure, deux stations essences, fermées, et une buvette le long de la route. Tu te diriges vers l'une des stations, trouves un homme. Tu comprends que tu trouveras du « benzin » à la buvette. Là deux hommes prennent le thé. Ils peuvent effectivement te vendre de l'essence. Tu achètes 12 litres, de quoi compléter ton réservoir principal, pour 72 billets. Environ $40 que tu viens de changer.

 

Au Turkmenistan, tu en aurais eu 20 fois plus pour le même prix. Mais l'homme est gentil et tu ne lui en veux pas... Il fait son métier et cherche à te rendre service. Il t'explique qu'il faut quitter la route principale pour se rendre à Urgentch, à 90km. Effectivement, tu repars sur une route qui est vite bien verte.

 

Le soleil est déjà rasant. La lumière magnifique. Des rizières, des belles maisons en terre. Mais tu ne t'arrêtes pas pour les photos. Il y aurait mille photos à faire mais tu économises l'essence. Partout, des charrettes, des ânes, des vélos... Un pays sans essence. Tu croises cependant quelques vieux camions russes, des ambulances et des bus. Le gasoil semble ne pas être un souci, seule l'essence n'existe plus.

 

Les gens t'interpellent souvent. Les jeunes surtout. Cela change du Turkménistan, et tu es content. La tenue des filles est aussi plus variée, souvent européenne. Beaucoup de jeunes, beaucoup d'enfants.

 

Régulièrement tu croises des escadrons de gros insectes. Des libellules, mais plus rapides et plus agiles. La plupart arrivent à t'éviter, mais pas toutes.

 

Arrivé à Urgentch, tu cherches un hôtel. On te dirige sur un hôtel trois étoiles. $35 la chambre. A l'accueil, tout le monde te pose des questions. Toi aussi tu poses des questions. Tu notes le taux du change au noir, le prix du litre de « benzin » au noir, etc..

 

L'hôtel est neuf et très bien tenu. Rien à voir avec les précédents. La salle de bain est nickel... On dirait un hôtel français : petites chambres bien compactes.

 

Après une douche tu descends dîner. Il y a une table de ping pong dans un local voisin, et tu joues un peu avec les personnes présentes. Puis tu vas vers le restaurant voisin. Pas de restaurant mais un bar où l'on sert une excellente bière pression locale. Tu crois rêver... On te sert du kebab. Roma, le patron de l'hôtel t'a rejoint et vous discutez.

 

Vous parlez voyages. Lui-même était allé jusqu'à Erzurum, connait l'Italie et avait eu des galères pour des visas en Iran, au Turkménistan. Il t'explique avec son peu d'anglais la géopolitique de l'Asie Centrale. L'Ouzbékistan était le pays central, le pays peuplé, le plus vaste, celui qui avait une histoire, un passé de grande civilisation. Mais Staline l'a découpé et des millions d'Ouzbeks se sont retrouvés citoyens Turkmènes, Kirghizes ou Kazakhs. Plus de la moitié de la population du Turkménistan est Ouzbeks. Mais les vrais Turkmènes, descendants des nomades dirigent le pays depuis le Sud. Même chose au Kirghizistan.

 

Le patron de l'hôtel te convainc aussi de passer une journée à Urgentch, pour visiter Khiva, distant de seulement 25 kilomètres. Khiva est avec Boukhara et Samarcand l'un des trois grands sites touristiques à ne pas manquer. Tu acceptes, pas seulement pour les vieilles pierres, mais aussi pour poursuivre la conversation. De toute façon, il faut régler le problème d'essence avant de partir sur Boukhara, distant de 600km.

 

Tu commences à bien aimer ce pays, malgré ses soucis d'approvisionnement en essence. Après le repas, que l'on t'a offert, tu visites l'hôtel. Puis te diriges vers ton lit. Les mauvaises routes fatiguent.

 

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