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Mercredi 23 juillet 2014

Tu es sur le bateau comme prévu à 7h. Alors que tu prends un café, une jeune femme vient te voir : Natalia. Elle a été ton contact au Ministère des Sports et du Tourisme pour les autorisations. Tu lui dis avoir croisé rapidement Mille la veille. Tu sens qu'elle est déçue par ton niveau de Russe. Vous n'aviez échangé que des mails et tu utilisais intensément GoogleTranslate.

Ta cabine est confortable et tu relis les textes en retard pour ton blog en Anglais. Au repas du midi, tu arrives parmi les derniers dans la salle de repas, et t'assois à l'une des dernières places libres, en face de Natalia. Tu es surpris car il y surtout des Russes autour de cette table. Alors que tu demandes à ta voisine si elle est en croisière, elle t'explique qu'elle est Irina, la Ministre des Sports et du Tourisme du Chukotka. Elle même qui t'a obtenu tes autorisations. Elle t'explique aussi que ce voyage n'est pas une croisière, mais que tous les passagers viennent de participer aux « Artic Games », qui se sont déroulés près de Provideniya. Il n'y a pas que des Canadiens sur ce bateau, mais aussi des Islandais, des Russes, des Norvégiens et aussi des habitants du Groenland. Le navire a amené sur place les participants, et a du servir d'hôtel pour la durée des jeux.

Le soir, tu assistes à une projection de photos sur le déroulement des jeux. De très belles photos pour un bel évènement. Un évènement confidentiel davantage culturel que sportif. Pas vraiment des jeux « olympiques », même si le sport en était le fil conducteur. L'occasion de réunir des jeunes, et des moins jeunes, des différentes régions polaires. Tu aurais aimé être présent. En tous cas, tous les participants semblent ravis. Tous semblent liés d'amitié.

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Jeudi 24 juillet 2014

Vous arrivez tôt le matin et le bateau est ancré au centre de la rivière, entre Anadyr et l'aéroport qui se trouve sur l'autre berge. Les trois quart des passagers reprennent un avion aujourd'hui. Les autres n'auront leur avion que le demain mais ils se rendent à terre pour se promener. Tu restes avec l'équipage, pour profiter d'internet, pour préparer la suite, la traversée. Rodney, le propriétaire du bateau t'a prévenu que tu ne pourras débarquer que demain, avec la barge qui viendra refaire l'approvisionnement du bateau.

Tu poses des questions à Rodney sur ta route pour traverser le détroit de Bering. Il est la meilleure personne que tu pouvais rencontrer pour en discuter. Il te déconseille vivement de passer au large du Cap Chaplino qui se situe juste à l'Est de Provideniya. Trop de vagues, trop de courant, trop dangereux. Il y a une piste qui te permettrait de le contourner en moto et d'arriver, à 20 km au nord de Provideniya, dans la zone protégée par les îles. Cela te ferait gagner plus de 100 km de navigation. De là, tu pourrais naviguer vers Lavrentiya, puis traverser le détroit au sud des Iles Diomèdes. Il pense que cette traversée est faisable, et tu es heureux de l'entendre. Encore faut-il que tu aies l'autorisation de quitter la Russie depuis cet endroit plutôt qu'au port de Provideniya.

Le repas du soir est en comité réduit. Vous n'êtes plus qu'une quinzaine de passagers. Tu es assis en face de Mille qui parle avec Rodney de sa vie en Alaska. Mille n'a pas la nationalité américaine, elle est Danoise. Ses péripéties pour l'obtention de la carte verte, sa vie avec ses chiens de traineaux.

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Vendredi 25 juillet 2014

Les derniers passagers sont partis. Il ne reste plus que l'équipage qui prépare le navire pour la prochaine croisière. Tu passes à nouveau un moment à discuter avec Rodney. Vous vous racontez rapidement vos vies, vos voyages, vos projets. Il est le seul avec qui tu auras vraiment communiqué, et c'est plutôt une surprise.

Tu débarques en ville vers midi et te rends directement au port. On te dirige vers le « dispatcher », la personne qui connait la liste des départs prévus. Tu échanges en Russe avec lui comme tu le peux, mais tu comprends trop bien ses réponses :

  • Provideniya ?

  • Aucun bateau pour Provideniya !

  • Mais le Seagrand ? Niet, il se rend à Vladivostok.

  • Quand un bateau pour Provideniya ?

  • Il y a un seul bateau prévu pour l'instant : le 11 août, et ce sera un bateau de passager qui ne pourra pas prendre la moto.

  • Et ensuite ?

Il n'en sait rien... Après le 15 août ? A Egvekinot, le Seagrand était le porte-containers qui se rendait aussi à Anadyr. On t'avait dit qu'il irait ensuite sur Provideniya, mais sa destination a changé.

Déception. Ta venue à Anadyr n'a plus de sens. Tu ne souhaites pas y rester. Retourner à Egvekinot ? Il y a un bateau ce soir, puis le prochain dans une semaine. Tu le quittes pour réfléchir et reviens dix minutes plus tard : tu retournes à Egvekinot dès ce soir. Tu y feras des essais, et tu verras bien ce qui se passera ensuite : soit tu te lanceras à longer la côte, soit tu attendras un bateau, soit tu abandonneras la traversée et rentreras à la maison. Soit... tu verras bien.

Tu auras perdu quelques jours dans cet aller-retour inutile. Mais il t'aura permis de rencontrer Mille, Irina et Natalia. Et surtout Rodney qui t'aura instruit sur la navigation dans le détroit. Au final, pas tout à fait du temps perdu.

Le bateau pour Egvekinot est en cours de chargement. Il transporte du charbon. A part Bilibino qui avait sa centrale nucléaire, la seule au monde au dessus du cercle polaire, toutes les villes ont des centrales thermiques au charbon. Des centrales indispensables au chauffage des habitations l'hiver. Leur réapprovisionnement est la principale activité de la navigation, quelle soit maritime ou fluviale.

Le dispatcher te demande de revenir à 15h pour que les gardes frontières vérifient tes papiers. Tu pars en ville à la recherche d'un restaurant. Tu en trouves un au centre, mais trop chic. Tu t'en éloignes et demandes aux passants où en trouver un autre. A chaque fois la réponse est la même : il n'y en a pas par ici, mais tu peux aller à celui du centre. Tu es fatigué par cette recherche, et tu finis par te résigner à rentrer dans ce restaurant « class ». Tu as l'air d'un clown. Tous les clients sont des hommes d'affaires. Tous très bien habillés. L'ambiance est très chic. Heureusement, il y a un vestiaire où tu peux laisser ton sac, ton casque et ta veste. Tous poussiéreux. Quand tu rentres dans la salle avec tes bottes ouvertes, ton pantalon sale et ta polaire, tu ne te sens vraiment pas à ta place. Les serveuses paraissent gênées. Tu manges un plat de poisson aussi rapidement que tu le peux, prends un expresso et t'enfuis retrouver la pluie.

A 15h, tu retournes dans le bureau du dispatcher. Les gardes frontières inspectent tes papiers. Tout est en règle, ils le signaleront au capitaine. Tu doit revenir maintenant à 19h pour l'embarquement.

De retour en ville, tu vas te garer près de l'église. Tu aperçois sortant d'un immeuble voisin Irina et Natalia. Tu as juste le temps de leur expliquer que tu retournes sur Egvekinot car elles sont pressées. Près de l'église, des touristes Suédois et Suisses. Ils prennent le bateau de Rodney pour la prochaine croisière. Vous rentrez ensemble au musée. Photos interdites sauf à payer quelques euros. Vous payez dix euros chacun pour voir deux salles sans intérêt, et la caissière vient te chercher pour te mettre dehors car tu restes plus que 5 minutes dans l'une des deux salles. Incroyable. Les musées de Bilibino et d'Egvekinot étaient incomparablement plus intéressants, mieux fournis et surtout mille fois plus accueillants. Tu continues à errer sous la pluie. Tu rentres dans un salon de coiffure pour te faire couper les cheveux. Tu es le seul homme, mais tant pis. La coiffeuse est une artiste de la paire de ciseaux, et elle est souriante. Son sourire te réchauffe.

A 19h, tu es sur le quai. Vous êtes une dizaine de passagers. Un nouveau tour dans les airs pour la moto. Tu es devenu efficace pour la décharger et la préparer pour la grue. Tu as droit à une cabine individuelle alors que les autres passagers sont deux ou trois par cabine. L'équipage, mais aussi d'autres passagers discutent avec toi. Tu te sens déjà plus à l'aise que sur le bateau de Rodney. Trois jeunes se rendent à Egvekinot pour un concert. Ils s'intéressent à ton voyage et tu leur montres la vidéo. Tu es toujours heureux de voir les sourires quand les gens comprennent le principe de la moto-bateau.

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Samedi 26 juillet 2014

Toujours du mauvais temps. De la pluie, le froid, du brouillard et des vagues de 2m. Tu n'aimerais pas naviguer sur ta moto dans ces conditions. Ce cargo est beaucoup plus stable que le bateau de Rodney. Beaucoup plus gros, beaucoup plus long.

Au petit déjeuner, l'un des jeunes musiciens souhaite te parler. Il veut que tu fasses une intervention au micro lors de leur concert, que tu pousses quelques cris. Cela ne te dit pas, et il est déçu. Mais tu viendras assister à leur concert.

Tu retournes sur le pont en début d'après midi. La mer est devenue plate. Bien sûr, vous êtes déjà rentrés dans la longue baie d'Egvekinot, mais le contraste avec ce que tu as vu trois ou quatre heures plus tôt te surprend.

Une fois débarqué, tu rejoins la gotsinitsa. Tout le monde a l'air heureux de te revoir. Tu retrouves la même chambre. Tu es devenu un habitué.

Le soir, le concert se déroule au rez de chaussée de la gotsinitsa. Mais tu t'endors avant le début des festivités...

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Dimanche 27 juillet 2014

Tu hais les weekends dans les petites villes Russes. L'activité la plus répandue consiste à boire de la vodka. La plupart des gens que tu croises titubent et sentent la vodka, et cela te met de plus en plus mal à l'aise. Vivement lundi.

Tu voulais aller à Amguema, mais il pleut et la visibilité est bien faible. Tu commences donc à monter ton système de transmission pour le bateau. La bonne nouvelle est que toutes les pièces ont bien voyagé. Tes emballages étaient à la hauteur du trajet.

Tu mets plus de temps que prévu pour le montage. Tu avais déjà oublié tous les détails. Tu alternes les séquences de mécaniques et les recherches sur Internet.

Quelques bonnes nouvelles : Dominique, un ami qui a navigué en solitaire en Atlantique veut bien t'aider pour la météo. Tu télécharges régulièrement les fichiers GRIB de la région, mais tes connaissances de la mer sont bien faibles, et tu as besoin de ses conseils.

Enfin, tu découvres que Nunligran, qui est à mi-chemin entre Egvekinot et Provideniya est un vrai village, avec environ 300 habitants. Peut être il y a t-il de l'essence ? Pour le moins, il y aura un magasin et tu pourrais certainement y faire une pause. La distance entre Egvekinot et Provideniya est de 450km. Tu ne te sens pas de te lancer pour un tel trajet. Alors que couper en deux parties, cela devient plus réaliste.

Tout dépendra de tes tests. Au moment de partir, tu commençais juste à déjauger. Mais tu n'as pas eu le temps, ni la météo favorable pour tester sérieusement ce mode « planing ». Beaucoup de choses à vérifier avant de se lancer pour une grande traversée.

Le soir, tes voisins de chambre viennent te voir. Tu passes un moment avec eux, leur explique tes voyages. Le plus jeune, Dima, semble particulièrement intéressé. Tu vas aussi chercher ton livre pour leur montrer. A chaque fois, les Russes de Sibérie sont surpris que l'on puisse faire de tels voyages. Et tu es content d'apporter des surprises.

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Lundi 28 juillet 2014

Tu finis de préparer les affaires pour les essais. Tu rends visite à Maria. Tu lui dis que tu recherches des informations sur Nunligran. Peut être que les représentants locaux des Tchouktches pourront-ils t'aider. Elle va se renseigner.

De retour à la Gotsinitsa, tu croises Dima. Tu pensais qu'il travaillait, mais il n'a pas de travail actuellement. Il doit probablement en chercher. Tu lui demandes s'il pourrait te donner un coup de main cet après midi pour le montage de la moto en mode bateau. Il est d'accord.

Vous prenez le café avec Dima avant de vous rendre en bord de mer. Il semble désormais réticent. Tu comprends pourquoi il ne travaille pas actuellement : il a une fracture de la main... Mais il t'assure qu'il peut t'aider avec sa main valide. Pourquoi pas.

Vous devez vous retrouver en bord de mer. Tu t'y rends, avec la moto chargée, mais Dima n'arrive pas. Tu l'attendras en vain. Incompréhension ? Ce n'est pas bien grave.

Personne sauf un homme qui dénoue un filet de pêche près d'une cabane. Tu t'approches et essayes d'engager a conversation. Tu lui expliques ton projet. L'homme est surpris et il téléphone aux gardes frontière qui vont arriver. Etonnant, mais pourquoi pas... Tu appelles Bob d'Irkoutsk pour qu'il te traduise ce qui se dit. Tu ne connais pas l'officier qui se présente, mais il est au courant de ton projet, probablement par ses collègues. Il sait donc que tes papiers sont en règle, mais il te met en garde contre les dangers de la mer. La baie est protégée, mais personne n'en sort avec un petit bateau. Tu sais cela.

Une fois le garde frontière parti, tu continues la discussion avec le pêcheur, rejoint par deux de ses amis. Tu sors ta carte du Chukotka, et vous parler de la route. Nunlingran ? Personne n'y va depuis Egvekinot. Mais il te confirme que tu pourrais naviguer dans une lagune ouverte à ses deux extrémités pour les 80 premiers kilomètres. C'est toujours cela de gagner. Après ? Les vagues te renverseront. Cela le fait sourire. Pas très engageant.

Tu comprends que la navigation soit dangereuse. Les conditions peuvent changer rapidement. Tu sais que ce trajet n'est possible pour toi que si tu es aidé pour la météo. Si tu peux être certain de conditions favorables.

Il n'y a pas en Russie de culture « prévisions météo » pour les plaisanciers. Il n'y a d'ailleurs pas de réels plaisanciers dans un endroit comme Egvekinot. Seulement des gros navires, et puis des particuliers – souvent des pêcheurs occasionnels - qui restent dans les environs. Tu comprends bien que personne ne se rende à Nunlingran depuis Egvekinot.

Tu cherches aussi une solution pour la nuit. Si tu montes la moto sur le bateau, où la laisser ? Sur la plage ? Pas très sûr, et la marée la chahutera. Trouver une cabane ? Il faudrait traîner le bateau sur les pierres. Il faudrait alors que tu trouves à chaque fois beaucoup de bras pour t'aider, et tu multiplierais aussi les risques de crevaisons du bateau sur les pierres. En revanche, plusieurs bateaux sont amarrés à des bouées. Tu penses qu'il te faut trouver une bouée libre ou fabriquer une ancre. Il y a plein de morceaux de ferraille sur la plage, qui n'est pas vraiment une plage. Tu laisserais le bateau au mouillage et rejoindrais la berge à la nage. L'eau est glacée, mais tu as ta combinaison sèche. Il n'y qu'une bonne cinquantaine de mètres à parcourir. L'eau de mer n'est pas bonne pour la moto, mais il faut faire ces tests. Tu feras un passage dans une rivière dès que tu repasseras en mode moto.

Tu demandes au pêcheur s'ils possèdent l'une de ces bouées. Non, ils rentrent leur bateau dans leur cabane. Bien sûr, les bouées que tu voies ont toutes des propriétaires. Comment trouver un propriétaire de bouée ? Il n'en sait rien, ou ne comprend pas ce que tu lui demandes.

Le temps a passé. Il est bientôt 15h30, et Dima n'est pas venu. Tu rentres à l'hôtel un peu dépité. Tu décharges le bateau et la mécanique pour la nuit. Entre temps, Maria t'a appelé pour te proposer de faire une présentation demain matin aux enfants de l'école. Rendez vous demain 10h.

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Mardi 29 juillet 2014

La présentation a lieu à la bibliothèque municipale. Tu présentes en Anglais tes deux voyages. Celui de 2010-2011, et celui en cours. Les enfants ont à nouveau beaucoup de questions. On t'épargne la séance d'autographes, mais tout le monde souhaite te photographier. Tu acceptes de bonne grâce, te souvenant que, plus jeune, tu refusais systématiquement.

Ensuite, la directrice et la professeur d'anglais qui a assuré la traduction te font visiter l'école. Il n'y a plus qu'une seule école dans la ville, alors qu'elles étaient 3 pendant la période soviétique. Aujourd'hui 400 élèves de la primaire à la terminale. Les bâtiments, le matériel, sont en très bon état.

Beaucoup de photos dans les couloirs. Des activités sportives, mais aussi des activités militaires. Tu ignorais que ces « jeux militaires » commençaient dès l'école. Tu es surpris, mais la directrice comme la professeur d'Anglais semblent trouver cela tout à fait naturel. Et leurs élèves sont particulièrement bons dans ce domaine. Tu comprends pourquoi l'omniprésence de la chose militaire ne choque pas : elle est rencontrée dès l'école.

Tu rentres à l'hôtel pour le déjeuner, puis te rends à nouveau sur la plage. Il y a deux petits bateaux qui viennent d'arriver. L'un d'eux amènent des enfants Tchouktches mais le pilote est un Russe-européen. Il semble proche de ces enfants et te paraît être un homme bon. Tu essayes de discuter avec lui. Ils viennent d'un village, Kanerguina, situé à mi-chemin de la sortie de la baie, à 45 km.

14h. Tu sais que tu n'installeras plus la moto sur le bateau aujourd'hui. Il est déjà tard pour la marée. Tu vas rendre visite à Maria. Elle a des informations pour toi : tout d'abord le prochain bateau pour Provideniya partira le 12 août. Probablement le bateau de passagers dont t'avait parlé le dispatcher d'Anadyr. Ensuite, pour Nunlingran, là... elle ignore toujours si l'on peut y trouver de l'essence. Nunlingran ne dépend pas d'Egvekinot, mais probablement de Provideniya.

Tu lui parles des bouées d'amarrage. Elle appelle le responsable des sports de la ville. Le service des sports a un bateau attachée à une bouée. Ils veulent bien que tu t'amarres dessus. Enfin un souci de régler.

Tu demandes aussi au directeur des sports s'il ne connaitrait pas une personne qui pourrait t'aider pour installer la moto sur le bateau. Tu penses pouvoir y arriver seul, mais tu n'en es pas certain. Et il ne faudrait pas te faire surprendre par la marée, seul avec la moto démontée et posée sur la plage.

Il téléphone à une personne qui vous rejoint et qui pourra t'aider. Serguey te semble être un retraité. Vous n'êtes probablement pas tous les deux parmi les plus vaillants mais vous devriez y arriver. Rendez vous est pris pour demain 13h.

Tu reviens vers la ville. Tu essayes de trouver des grands sacs poubelles en plastique, mais le concept de sac poubelle n'existe pas. Depuis que tu es en Russie, tu réalises qu'il y a souvent des objets ordinaires que l'on trouve partout ailleurs, sauf ici.

21h. Tu es sur internet après avoir rédigé ce texte. On frappe à ta porte. Probablement quelqu'un qui souhaite parler moto, ou voyage... Non : une dame en imperméable bleu fermé jusqu'au cou qui te tend une carte de police. Derrière elle, le garde frontière que tu as rencontré hier. Elle souhaite voir tes papiers. Tu n'es pas très inquiet car tu sais qu'ils sont en règle. Ils te demandent quand tu es arrivé, quand tu comptes partir. Tu n'en sais rien. Vous aller dans le bureau de la gotsinitsa. Tu commences à comprendre : les hôtels doivent enregistrer les étrangers au poste de police, et cela n'a pas été fait. Un héritage de la période soviétique qui commence à tomber en désuétude. Là dessus, cela doit faire plus de 8 jours que tu es arrivé à Egvekinot. La policière fait remplir des papiers à l'employé de l'hôtel. Un mauvais moment pour lui. L'administration Russe consomme beaucoup de papier. Tu espères juste que ce ne sont pas des ennuis pour les employés de la gotsinitsa. Ils sont vraiment gentils avec toi.



Mercredi 30 juillet 2014

Tu commences à préparer la moto devant la gotsinitsa. Il pleut et tu es rapidement trempé. A midi, tout est prêt, et tu prends un repas avant de te rendre sur la plage.

Serguey est au rendez vous. Vous dépliez le bateau, installer la moto dessus avant de retirer les roues. Les choses se passent raisonnablement bien. Tu es heureux de ne rien avoir oublié, sauf peut être quelques détails de montage. Il y a un nombre important de détails, et le temps passe, toujours sous la pluie. Vous avez froid.. Tu n'as rien sur la tête, et tes cheveux sont trempés depuis longtemps.

Un homme, Tolek, assiste au spectacle. Il a une vieille cabane juste à coté. Il semble ami avec Serguey, et il vous donne un coup de main par moment.

Tu as prévu un petit amortisseur entre le bras oscillant et la moto. Mais la vis de fixation se casse. Le filetage sur le bras oscillant a pris trop de boue. Tu aurais du le nettoyer au préalable. C'est désormais trop tard... Impossible de retirer la partie de vis qui est bloquée. Tu ne sais plus bien combien est important cet amortisseur, mais il faudra t'en passer pour les tests. Tu sais qu'il n'est pas indispensable car tu l'avais ajouté tardivement.

Les deux pêcheurs que tu as rencontré hier passent rapidement. Celui avec qui tu avais discuté semble toujours aussi sceptique. Tu comprends dans paroles « pas sérieux ». La remarque t'énerve. Bien sûr que tout cela n'est pas sérieux! Il l'est lui sérieux avec sa tenue militaire, son double menton et sa barque en métal défoncé ?

Vous avez terminé, et il te faut aller accrocher le bateau à la bouée. Un homme est allé lui aussi ancrer son bateau à l'aide d'un mini canot pneumatique. Serguey va lui demander s'il peut te le prêter. Réponse négative. Tu pars donc à la rame vers la bouée, et rentres à la nage, dans une eau sombre, sale... Quand tu rentres dans l'eau, tu te demandes si ta combinaison sèche est toujours bien étanche après avoir traverser la Russie. Heureusement, elle l'est. La nage te réchauffe, et tu ressors de l'eau finalement plus en forme que lorsque tu y est entré. Près de la berge, une pellicule d'huile flotte en surface. Il te faut aussi éviter les débris de verre qui sont un peu partout mélangés aux pierres. Toujours l'épidémie de vodka.

Tu laisses ta combinaison pendue dans la cabane de Tolek. Tu demandes à Serguey combien tu lui dois. Tu voudrais le payer mais il refuse et te propose plutôt d'aller acheter une bouteille de vodka. Tu touches le fond, mais comment refuser...

Vous vous rendez dans un magasin près de la gotsinitsa. Serguey prend aussi une bouteille de vin car tu lui as dit que tu ne boiras pas de vodka. Vous rentrez ensuite dans ta chambre. Tu as quelques provisions et vous pourrez ainsi diner.

L'ouverture de la bouteille de rouge se passe mal. Tu en renverses sur la nappe, sur le torchon que tu avais mis pour protéger la nappe. Les bouteilles de vodka descendent, et tu commences à voir tes compagnons bien atteints par l'alcool. De ton coté, tu auras bu un demi-verre de vin et iras jeter ensuite le reste dans les toilettes. Une mauvaise cuvée.

Alors que tes compagnons te quittent en titubant, tu reçois un appel de Kosta. Il voudrait savoir si tu seras toujours là à l'arrivée de Philippe. Mais Philippe est toujours à Seymchan, donc n'atteindra pas Egvekinot avant le 15, voir le 20. Bien tard pour toi.

Tu te connectes sur internet et regardes le site du monde, et les actualités ne risquent pas de te rendre plus joyeux. Une très mauvaise journée dans le monde comme à Egvekinot.

Mais la moto est enfin en mode bateau.

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Jeudi 31 juillet 2014

Encore la pluie toute la nuit. Tu reconnais que le moral n'y est pas, mais tu essaies d'assurer. Une bonne douche, un peu de ménage, quelques mails aux proches.

9h. Au moment de partir, la pluie s'interrompt et un coin de ciel bleu s'installe au dessus d'Egvekinot. Elle a enfin pitié de toi, la pluie. Tu te diriges vers la plage avec un peu d'appréhension. Le bateau sera-t-il comme tu l'as laissé ? Un des flotteurs ne sera-t-il pas dégonflé ? La moto ne baignera-t-elle pas dans l'eau ? Non, tu aperçois la moto, rien de changé depuis hier soir.

Alors que tu te prépares, un coup de téléphone : une dame parlant anglais te dit que tu es convoqué cet après midi au bureau des migrations, qu'elle sera présente pour traduire. Tu te demandes ce qu'ils te veulent, mais pourquoi pas.

Sur la plage, Tolek. Tu es prêt à rejoindre le bateau à la nage quand vous apercevez un homme avec un mini-canot. Tolek lui empruntes et tu peux récupérer ainsi le bateau au sec.

Les essais commencent. Il te faut d'abord régler l'équilibre des appuis pour que le bateau ne vire pas trop d'un coté, que tu puisses le diriger simplement en déplaçant ton poids.

Et puis tu essayes de déjauger. Rien à faire. Tu essayes plusieurs angles d'inclinaison, tu règles la tension de la courroie, mais à chaque fois que tu accélères, l'air atteint l'hélice qui rentre en « cavitation ». Cela se passe à chaque fois que tu atteints les 10-11 km/h. Tu t 'étais battu contre ce phénomène pendant des mois et pensais l'avoir réglé juste avant le départ. Mais tu n'avais pas pu faire tous les essais voulus, faute de temps et de météo favorable.

Sans déjauger, ta vitesse de croisière est d'environ 5 kts, soit une dizaine de km/h. Elle serait du double si tu déjaugeais, et tu consommerais moins.

Pourquoi ce problème ? Lorsque tu as déjaugé, tu avais calfeutré les trous autour de la courroie avec du scotch. C'est maintenant du caoutchouc, découpé dans de la chambre à air, qui bouche ces trous. Le scotch ne convenait pas vraiment car il ne durait pas. Le caoutchouc serait-il trop souple ?

La solution définitive consisterait à enfermer la courroie dans un tube, ce qui permettrait aussi de la protéger des bouts de bois des rivières. Mais ce n'est pas quelque chose qui peut être réalisé rapidement, et encore moins à Egvekinot.

Tu arrêtes les essais en début d'après midi. Tu perds l'espoir de déjauger de manière fiable à court terme. Donc de rejoindre Provideniya sur ton moto-bateau. 400Km à 10km/h signifie 40 heures. Trop risqué, trop long.

Tu rentres à l'hôtel. Natalia, la gérante de l'hôtel vient te chercher. Tu comprends qu'elle veut t'emmener au bureau des migrations, mais c'est d'abord dans d'autres bureaux, peut être un service municipal que vous vous rendez. On photocopie tes papiers. Natalia te guide ensuite au bureau des migrations. Tu ne la reconnais pas de suite, mais c'est la dame en imperméable qui t'avait rendu visite l'autre soir qui est là derrière son bureau.

La traductrice est aussi présente et tu la connais : la guide du musée. Elle a aussi droit à des photocopies de passeport, des papiers,... Tu lui demandes si elle est aussi étrangère, mais non : elle est pour l'occasion traductrice officielle, donc il faut photocopier ses papiers et ses diplômes.

Les séances de photocopies se terminent après une bonne demi heure, et commence alors l'interrogatoire. Des dizaines de questions sur ton identité, ton emploi du temps, ton arrivée, tes relations avec les personnes de la gotsinitsa, combien tu payes, etc... Une question qui te surprend : fais tu l'objet d'un suivi psychiatrique ? Pas jusque là.

L'inspectrice rédige le procès verbal, puis la traductrice le traduit oralement avant que tu signes tous ces papiers.

Tu as fini par comprendre le souci de départ : arrivé dans une ville, tu dois te faire enregistrer si tu y résides plus de 8 jours. La date de ta première arrivée est celle qui compte. Tu ne l'as pas fait, et tu es donc en tort. Au final rien de grave, mais il fallait cet interrogatoire et ces papiers pour expliquer pourquoi tu ne l'avais pas fait. Enfin l'inspectrice émet un sourire. Elle est soulagée.

Tu quittes les bureaux, il est déjà 5 heures. Une séance de tourisme bureaucratique qui aura occupé ton après midi. Une fois dans, sa vie, cela mérite d'être vu, mais c'est suffisant. Encore une journée pas vraiment drôle.

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Vendredi 1 août 2014

Tu te lèves tôt avec l'idée d'aller faire un tour de quelques heures sur ton bateau. Tu en profiteras pour refaire quelques tests, sans y croire vraiment. Il ne pleut pas, mais à peine sorti de la gotsinitsa, tu comprends qu'il te faudra attendre : on ne voit pas à 100 mètres à cause du brouillard. Cela limite l'intérêt d'une croisière dans la baie. Mieux vaut attendre.

Vers 10h, toujours du brouillard. Tu vas rendre visite à Maria. Elle a des nouvelles pour toi : un bateau pour Anadyr arrivera Dimanche et partira Lundi. Si tu veux le prendre, il te faut remonter la moto au plus tard demain. Mais récupérer les roues que tu as laissées dans la cabane de la mairie dès aujourd'hui car demain sera weekend. Tout se bouscule.

Tu vas prendre ce bateau, et revenir au mode moto dès aujourd'hui. Maria essaye de joindre la personne qui a la clé de la cabane de la mairie où sont entreposées tes roues. A midi, tu les as récupérées alors que le brouillard s'est enfin dissipé. Tu vois Tolek arriver en titubant. Ivre, il reste calme et gentil. Il répète souvent « pajalousta » (« s'il vous plait »).

Tu empruntes aussi le canot de la cabane de la mairie pour t 'éviter de rejoindre la moto à la nage. Au moins ta combinaison ne sera mouillée que sur la bas des jambes.

Une fois la moto récupérée, tu te mets au travail. Il y en a pour plusieurs heures mais la marée est haute et tu as largement le temps. Tu essayes de tout remonter seul, même si Tolek, rejoint par un autre homme ivre, t'observe et se tient prêt à t'aider. Tu veux vérifier que tu es capable de mener seul l'opération.

Au final, tu feras appel à Tolek et son ami pour ramener la moto vers l'avant au moment de monter la roue arrière : la moto a glissé à cause de la pente, et le bras oscillant s'est trop rapproché de la planche arrière. La roue ne passe plus. Aurais-tu pu te passer de cette aide ? Probablement en dégonflant complètement le bateau à ce moment là. Ou, si tu avais prévu le problème, en accrochant la moto à l'avant du bateau par une sangle. Tu aurais encore pu sortir la moto en la couchant sur le coté, mais autant éviter.

Tu ranges ensuite les outils, mais il te reste à emballer le bateau plein de sable et de graviers. Tu enlèves ton pantalon et rentres dans l'eau pour le rincer. Erreur : tu as oublié de refermer les valves de gonflage, et de l'eau rentre dans une partie des flotteurs. Faudra faire avec.

Le soleil et le vent ont fait sécher la bâche, et t'aident à sécher le bateau. Au moment, de plier, une femme Tchouktche arrive avec ses enfants. Elle était déjà passée hier, alors que tu faisais les essais. Vous aviez papoté. Elle est souriante, à une voix douce, et continue à te poser des questions. Elle t'aide à rentrer le bateau dans son sac. Vers 17h, tu peux enfin revenir à la gotsnitsa. Encore une journée qui ne s'est pas passée comme prévue.

Le soir tu as à nouveau Kosta au téléphone. Il t'apprend beaucoup de choses : tout d'abord qu'il serait probablement possible de rejoindre Provideniya par la terre, depuis Amguema. Un homme qui possède un engin amphibie, probablement le même genre d'engin que celui de Vladic à Bilibino, serait prêt à vous accompagner avec Philippe. Mais Philippe est encore loin d'arriver.. Kosta t'apprend aussi qu'il y a encore un autre village, Enmelen, avant Nunligran. Il connait aussi un propriétaire de bateau à Kanerguina qui peut se rendre à Enmelen. Par saut de puce, on pourrait ainsi arriver à Provideniya.

Tu recherches Enmelen sur internet, et tu trouves effectivement les coordonnées de ce village. En zoomant sur GoogleEarth, on aperçoit des constructions. Tu regrettes de n'apprendre cela que maintenant. Tu ne pensais pas que Kosta pouvait si bien connaître cette partie du Chukotka et les moyens de s'y déplacer.

Vers une heure du matin, tu es réveillé par la musique. Une nouvelle nuit de danse au rez de chaussée de la gotsinitsa. Tu repenses à ce que t'a appris Kosta. Le parcours d'Egvekinot à Provideniya, est au final moins dangereux que tu ne l'avais pensé. Il y a 400km, mais près de la première moitié est protégée, et les derniers 200 km peuvent être découpés en 3 morceaux grâce à ces villages. Mais il reste toujours le souci de l'essence. Et jusqu'en Alaska, il y a tout de même 750 km, ce qui fait beaucoup si tu ne déjauges pas.

Tu repenses aussi à tes essais décevants, au déjaugeage. Tu as jeté l'éponge trop vite. Tu aurais du modifier ton calfeutrage en caoutchouc. Tu aurais du réfléchir plutôt que renoncer. Peut être l'aspect glauque de cette plage, son eau crasseuse ont ils figé ton cerveau.

Une des dernières modifications à consister à rajouter un morceau de caoutchouc en dessous de la plaque anticavitation. C'est peut être une erreur... Si l'air est capturé à cet endroit, il va probablement s'écouler sous la plaque jusqu'à rejoindre l'hélice. Il est encore préférable de laisser l'air dans la courroie... Tu aurais du réfléchir, essayer d'autres choses, supprimer ces morceaux de caoutchouc, et analyser pas à pas le problème.

C'est désormais trop tard, sauf à te rendre à Provideniya, et à y refaire des essais. Si tu le veux, il te reste le bateau de passagers du 11 août. Pas certain qu'il te prenne avec ta moto, mais tu peux toujours demander au capitaine. Ou alors attendre Kosta et Philippe qui arriveront dans deux à trois semaines. Trop tard ? On t'a souvent répété que la météo du mois d'août est mauvaise.

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Samedi 2 août 2014

Encore du brouillard. Tu finis de remettre la moto en état. Il y aura encore le démontage de la transmission et le rangement dans les sacoches.

Tu ne pars en balade qu'en début d'après midi. Depuis deux semaines, tu n'avais plus vraiment roulé. Tu fais l'aller-retour jusqu'à Amguema, 90 km au Nord d'Egvekinot. Tu retrouves les paysages que tu avais aimé entre Bilibino et Egvekinot. Mais tu prends le temps de t'arrêter, de prendre des photos. De prendre des petits chemins vers les rivières. C'est peut être la dernière balade à moto de ce voyage.

A deux ou trois reprises, des véhicules arrêtés. Natalia, la gérante de la gotsinitsa t'avait dit que c'est la période des champignons, les « gribis ». Effectivement, il sont un peu partout dans la toundra. Les animaux doivent apprécier tout autant que les ramasseurs.

Comme chaque soir, tu télécharges le fichier GRIB de la météo. Jusqu'à lundi un épisode de calme sur la côte. Celui dont tu aurais pu profiter. Et puis du mauvais temps, des vagues de 3-4 mètres. Le mois d'août ?

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Dimanche 3 août 2014

Ton dernier jour à Egvekinot ? En tout cas, tu publieras ton blog ce soir. Cela fait bien longtemps que tu n'as pas publié et tes amis commencent à s'inquiéter.

Il te faut aussi décider ce que tu feras une fois à Anadyr. Ce que tu as envie de faire.

Soit rentrer. Ce voyage aura été la reconnaissance souhaitée. Tu as compris les difficultés, les solutions, et aussi rencontrés des gens qui pourront ensuite aider à la réussite d'un second voyage mieux préparé, dans deux ans. En revanche, tu n'es pas certain de pouvoir effectuer ce second voyage. Trouveras tu le ou les compagnons prêts à t'accompagner ? Auras tu une nouvelle fois l'autorisation de traverser le Chukotka ?

Soit tu prends le bateau pour Provideniya si l'on t'accepte avec la moto. Cela te permettra de rencontrer des personnes sur place, de savoir s'il est possible d'obtenir l'accord des gardes frontières pour contourner le Cap Chaplin. Et peut être traverser le détroit si la météo du mois d'août n'est pas aussi mauvaise qu'on ne te l'a dit.

La guide du musée, Ludmila, te téléphone pour te proposer une promenade le long de la côte. Vous passez la matinée à marcher. Tu es heureux de voir de l'eau claire, parfaitement propre. La mer n'est pas partout aussi sale que près de la plage aux cabanes. Le plaisir aussi de la marche. La journée est magnifique. Tu sais que ces deux trois jours qui viennent constituaient la fenêtre météo parfaite pour traverser le Bering. Si tu avais été à Provideniya... Même à 5kts, tu aurais pu tenter l'aventure.

Ludmila prend souvent contact avec les rares étrangers qui séjournent à Egvekinot. Ce doit être pour elle le moyen d'entretenir son Anglais. Elle te parle des biologistes, des ethnologues qui sont passés avant toi. Elle cherche à comprendre si tu as aussi une raison scientifique, si tu souhaites écrire un livre sur la région, sur ton voyage. Une fois, elle a accompagné un groupe dans un engin amphibie jusqu'à Vankarem. Le chemin que tu souhaitais prendre initialement pour t'approcher du Bering avant que l'on ne t'oblige à quitter la Russie à Provideniya.

Vous passez aussi au port prendre des renseignements. Le bateau qui partira demain est le fameux bateau de passagers qui ira le 12 à Provideniya. Tu sauras au moins s'il peut prendre ou non une moto. Sinon, tu ne partiras pas demain, et devras attendre qu'un cargo veuille bien de toi et de ta moto.

L'attente est une chose qu'il faut accepter au Chukotka. Depuis une semaine, trois femmes Tchouktches, dont une accompagnée d'une enfant d'une dizaine d'années, attendent dans la gotsinitsa pour prendre un hélicoptère qui les emmènera à Port Smith, sur la côte arctique. Plusieurs fois, elles ont cru que l'hélicoptère partira et se sont rendues en taxi à l'aéroport. Mais à chaque fois, le vol a été annulé pour cause de mauvais temps. Tu sais que si elles ne partent pas dans les deux ou trois prochains jours, la météo ne va pas aller en s'arrangeant.

De retour à la gotsinitsa, il te faut démonter la mécanique de transmission de la moto, l'empaqueter et la ranger dans les sacoches en aluminium. Un puzzle dont tu ne te souviens plus exactement de la solution. Il faut bien la retrouver.

A l'heure de décider de la continuité du voyage, tu repenses aussi à tes motivations. Pourquoi le Bering ? Pour toi le Bering est un symbole. Celui de la méconnaissance de tes semblables pour l'histoire de l'humanité. Quand tu étais à l'école, on te présentait l'Amérique comme un nouveau monde découvert par Christophe Colomb. A aucun moment on ne s'était posé la question de savoir quand les Amérindiens y étaient arrivés. Tu avais compris qu'ils avaient toujours été présents sur ce continent, de même que les Asiatiques, les Africains et les Européens avaient toujours été présents sur l'ancien Monde. Jamais tu n'avais réalisé que l'Amérique et l'Eurasie étaient reliés par le détroit de Bering. Depuis, les scientifiques ont compris que les hommes comme les autres mammifères avaient peuplé l'Amérique à partir de ce passage. Que tous les hommes sont issus d'une branche unique, et qu'il n'y a pas eu plusieurs humanités surgissant à plusieurs endroits de la planète. Tout cela pourrait être une évidence, mais tu ne crois pas que beaucoup de gens savent qu'ils ont forcément un ancêtre commun avec toute personne sur terre. Qu'elle soit Amérindienne, Africaine ou Polynésienne. Que nous sommes tous plus ou moins cousins. Pour toi, le Bering est le symbole de cet ignorance. Un endroit peu connu que l'on considère aux extrémités du monde, alors qu'il en est plutôt le centre, l'articulation.

Pendant longtemps, les Tchouktches ou les Eskimos l'ont traversé sans savoir qu'on le considérait comme une frontière, la séparation entre deux continents. Il était au centre de lieux de vie, et les pêcheurs passaient aisément d'une rive à l'autre. Mais l'histoire moderne en a fait no-man's land, un mur de Berlin, une frontière infranchissable. S'il est toujours difficile de traverser ce détroit, c'est avant tout pour des raisons administratives, frontalières.

Voilà pour tes motivations philosophiques. Maintenant, tu es aussi heureux de voyager, et de circuler à moto dans ces endroits d'une grande beauté. Heureux de rencontrer des gens dans les endroits difficilement accessibles. Heureux de montrer que l'on peut partir de chez soi et aller n'importe où. Heureux de courir après une utopie, un monde où l'on irait partout sans prendre l'avion.

Il faut que tu retournes à ton démontage et à ton rangement.

18h. Tu prends ton repas à la gotsinitsa. Il fait grand beau sur toute la péninsule et tu es surpris de retrouver la dame et sa fille qui attendent depuis plus d'une semaine l'hélicoptère pour Port Smith. Elle te sourit : l'aéroport ne travaille pas le weekend. Heureusement, la journée de demain doit encore être belle.

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