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Written by toi   
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Lundi 4 août 2014

Tu sais que le bateau ne partira que vers 16h, mais tu charges la moto dès le matin. Tu veux te rendre au port pour discuter avec le capitaine. C'est le bateau de passagers qui doit le 11 août se rendre à Provideniya. Probablement la dernière carte à jouer.

Au moment de partir, tu téléphones à Ludmila pour lui demander de t'accompagner pour traduire. Tu sais qu'elle ne travaille pas aujourd'hui, et elle t'avait proposé son aide hier. Tu pensais initialement te débrouiller seul, mais expliquer que tu te rends d'abord à Anadyr, puis à Provideniya risque d'apporter de la confusion.

Le bateau n'est pas bien grand. 50 ou 100 passagers tout de même. Il n'a pas de grue propre, mais il est amarré sous l'une des grues du port. Il n'y aurait donc pas de souci pour le chargement. Reste à savoir s'il serait dans la même situation à Anadyr.

Le capitaine est à son poste. Ludmila lui explique ta demande. La réponse est claire, non négociable : il ne prendra pas ta moto. Surprise, Ludmila insiste. Tu as vite compris que la position du capitaine n'évoluera pas. Pourtant, la gardienne de l'entrée du port vous avait dit qu'elle avait déjà vu une voiture posée sur le pont de ce bateau. C'est peut être là le problème... Une mauvaise expérience aurait imposé la consigne de refuser tout véhicule.

Le directeur du port vous informe qu'il y aura un cargo de la « Chukotka Trading Company » qui partira dans trois jours sur Anadyr. Il faut se rendre dans les bureaux de cette compagnie pour prendre un billet et voir les conditions du transport de la moto. Tu suis Ludmila vers ce qui est l'un des plus gros bâtiments d'Egvekinot. L'intérieur est soigné, presque luxueux. Il n'y a pas de souci pour transporter la moto, sauf que seul un Russe peut la déposer au port de départ, et seul un Russe peut la récupérer à l'arrivée. Cette règle est inattendue, mais Ludmila se propose d'être l'expéditrice et elle recherche parmi ses connaissances quelqu'un qui pourrait se rendre au port avec toi pour la réception. Elle finit par trouver une ancienne collègue qui accepte de t'aider à Anadyr. Tu vas pouvoir quitter Egvekinot.

En revanche, tu viens de perdre tout espoir de te rendre à Provideniya. Le bateau de passagers t'est interdit. Tu renonces donc au Bering pour cette année. C'est décidé.

Tu as perdu la partie en allant la première fois sur Anadyr chercher un bateau qui n'existait pas. Tu voulais te concentrer sur le Bering en court-circuitant le trajet d'Egvekinot à Provideniya. Eviter les premiers 400 km et ramener la distance totale à une valeur plus raisonnable. Maintenant, tu sais que l'état de la mer va devenir de plus en plus problématique. La semaine à venir est annoncée mauvaise. Les créneaux météo favorables sont passés. Et la faiblesse de ta vitesse t'interdit de prendre trop de risques.

Tu avais une bonne chance de réussite si tu avais su plus tôt ce que Kosta et Rodney t'ont appris. Si tu avais eu connaissance de l'existence des villages d'Enmelen et de Nunlingran. D'un autre coté, le but de ce voyage était avant tout d'apprendre. De comprendre les difficultés, et de découvrir les solutions. Mais tu pouvais aller plus loin. Au moins Provideniya, et probablement Nome.

La solution aurait consisté à naviguer au plus vite jusqu'à Kanerguina, et d'y chercher la personne qui pouvait t'accompagner jusqu'à Enmelen. Kosta connait quelqu'un qui aurait pu. Cette première section aurait été un test parfait, progressif. Une fois à Enlinmen, tu aurais pu poursuivre seul jusqu'à Nunlingran, et ensuite Provideniya. Enmelen et Nunlingran sont des villages de chasseurs de baleines. Les habitants connaissent la côte et savent y circuler. Egvekinot est une ville, et ses pêcheurs occasionnels ne sortent pas de la baie. Deux mondes qui s'ignorent. Pour les habitants d'Egvekinot, naviguer en dehors la baie est impossible. Pour les Tchouktches chasseurs de baleine, c'est leur vie. Du moins dans la période estivale.

Pour l'essence, tu te serais chargé avec au moins une centaine de litres au départ d'Egvekinot. Naviguer surchargé dans la première partie protégée n'aurait pas posé de souci. Et tu aurais été rapidement allégé pour la seconde partie. Tu aurais pu arriver avant la fin juillet à Provideniya, et profiter de l'accalmie actuelle pour passer le détroit. Il ne fallait pas traîner.

Une nouvelle fois, tu retournes à la gotsinitsa et décharges la moto. Tu remontes le bateau à l'étage, et il reprend sa place dans le couloir.

Un appel de Philippe, le motard en KTM qui te suit à 3 semaines d'intervalle. Il se trouve devant Zyrianka sur une barge prête à partir pour Aniusk. Tu lui expliques ta journée, tes déceptions. Vous passez deux heures au téléphone. Il voudrait que tu loues un avion pour te rendre à Provideniya, que tu forces les choses. Tu es plus fataliste.

Il te parle aussi de son voyage. Il retrouvera Kosta entre Pevek et Bilibino. Ils prendront, probablement avec Pavel, la même route que tu as prise. Une fois à Egvekinot, ils loueront un engin amphibie pour rejoindre Vankarem depuis Amguema. Puis un bateau pour les accompagner jusqu'à Uelen. Philippe restera en moto autant que faire se peut. C'était aussi la route que tu avais envisagée au départ. Moins de côte, moins de mer à traverser. Mais incompatible avec les exigences administratives.

Le soir, tu réalises que depuis quelques temps, les soirées sont devenues reconnaissables. Tu as même été surpris par l'obscurité en te réveillant la nuit dernière. Il y a un mois, alors que tu étais sur le Kolyma, il était bien difficile de distinguer la nuit de la journée. Le solstice d'été s'éloigne. Il est d'ailleurs probable que l'état de la mer soit lié à l'influence du soleil. Au moment du solstice, la stabilité de la position du soleil doit limiter son impact sur les marées. En revanche, au plus on se rapprochera de l'équinoxe, au plus les trajectoires du soleil influeront sur les marées. Et l'amplitude des marées doit amplifier l'amplitude des vagues. Tout cela est nouveau pour toi.



Mardi 5 août 2014

Tu passes la journée à mettre à jour tes blogs, à répondre à tes mails en retard. Tu ajoutes des dessins que t'avait envoyés Gilbert juste avant ton départ. Tu n'avais pas eu le temps de t'en occuper avant. Tu continues aussi à regarder les fichiers météo, mais plus avec la même attention. Pour l'instant, le retour d'une mer calme n'est toujours pas prévu.

L'après midi, tu reçois un appel de Kosta qui vient aux nouvelles. Tu lui expliques le renoncement, tes déceptions, mais aussi la volonté de relancer un voyage pour dans deux ans. Kosta serait partant pour assurer le suivi au Chukotka. Une nouvelle qui te réjouit. Il te faudra trouver des sponsors d'une part, et des compagnons de route d'autre part.

Kosta t'impressionne par sa connaissance du terrain. Tu regrettes de ne pas l'avoir interrogé dès votre rencontre à Bilibino. Il t'aurait apporté la solution.

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Mercredi 6 août 2014

Tu traînes sur internet. Difficile de garder le moral.

Tu repars en début d'après midi en balade vers Amguema. C'est la seule route depuis Egvekinot avec celle de Bilibino et tu préfères éviter les traversées de rivières la veille du départ. Tu poursuis après Amguema pour repérer la piste qui part vers l'Est, vers le fleuve Vankarem.

Un engin amphibie arrêté près d'une ruine. Tu salues et continues ta route encore une vingtaine de kilomètres. Tu regardes la carte sur ton GPS : tu es monté trop au nord. Demi tour. En rejoignant l'engin amphibie, tu réalises qu'il est garé là où devrait se situer l'intersection. Mais tu ne vois aucune piste qui parte de cet endroit. Peut être le trou au milieu d'un buisson ?

Tu discutes un moment avec les personnes près de l'engin « passe-partout ». C'est ainsi qu'on l'appelle en Russe. Ils arrivent d'une mine et attendent un bus qui vient les chercher. Le conducteur connait Kosta. C'est bien le véhicule que devrait louer Philippe pour l'accompagner. Un mastodonte... « Quelle consommation ? 120 litres de gasoil au cent kilomètres. Pourrait-il se rendre à Provideniya ? Non, pas Provideniya. ». Tu te doutais de la réponse. Provideniya est cernée au nord par des montagnes.

Tu les quittes et croiseras effectivement un « bus » une demi heure plus tard. Dans la région, les « bus » sont des camions aménagés. Pas grand chose à voir avec les bus parisiens.

Tu profites de la balade. Peu de photos, mais tu t'arrêtes à nouveau près de la montagne orange, la couleur de KTM. Tu trouves même de l'herbe KTM dans des étangs.

Tu rentres juste pour le repas du soir après être passé au port pour demander à quelle heure partira le bateau. Ce sera demain en début d'après midi. En laissant la moto tu réalises que les attaches des deux clignotants arrières ont lâché. Trop de vibrations, trop de chocs. Réglé pour la pleine charge, ton amortisseur est probablement trop dur. Tu avais eu la flemme de modifier le réglage.

Ludmila te propose de l'accompagner pour sa promenade du soir. Elle te raconte comment elle est arrivée à Egvekinot pendant l'époque soviétique. Elle travaillait à l'aéroport, et la ville comptait trois fois plus d'habitants qu'aujourd'hui. Travailler au Chukotka présentait des avantages financiers importants : la paye était deux fois et demi plus élevée que dans le centre du pays, et chaque mois passé comptait un mois et demi pour la retraite. Et puis elle a aimé le Chukotka, sa nature. Alors que beaucoup partaient après l'effondrement de l'Union Soviétique, elle a décidé de rester. Sa vie est désormais ici.

Elle occupe deux appartements voisins dans un vieil immeuble. Elle vit avec son chien dans le premier et recueille des chats abandonnés dans le second. Elle héberge actuellement 52 chats. Il y a-t-il une limite ? Quand elle n'en avait que 8, elle pensait que 8 était la limite. Aujourd'hui, elle croit que la limite est à 52. Mais si quelqu'un laisse à nouveau un chat sur le pas de sa porte, elle ignore ce qu'elle fera. Dommage, car le nombre 52 est spécial. Les jeux de cartes...

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Jeudi 7 août 2014

Tu recharges le bateau sur la moto et fais tes adieux. Tu commences à connaître du monde dans cette petite ville. Avant hier, quelqu'un que tu pensais n'avoir jamais vu t'a appelé par ton prénom.

Quelques courses pour le cas où le bateau ne servirait pas de repas. Il y a un nombre incroyable d'épiceries à Egvekinot. Comme à Bilibino d'ailleurs. Elles se ressemblent toutes, mais elles diffèrent souvent par quelques produits. Rentrer dans une épicerie, regarder, et en ressortir sans achat est fréquent. Au début cela te gênait, mais tu visites désormais trois ou quatre épiceries avant de trouver ce que tu cherches exactement.

Tu as rendez vous au port avec Ludmila. C'est officiellement elle qui doit livrer la moto. Le navire transporte du charbon. Il est le jumeau de celui que tu avais pris pour revenir d'Anadyr. La moto est rapidement embarquée et tu dis au revoir à Ludmila.

Tu discutes un moment avec le représentant de la compagnie maritime. Tu lui expliques l'échec du voyage actuel, et ta volonté de revenir pour le mener à terme. Il pense que sa compagnie, qui souhaite faire la promotion touristique du Chukotka, sponsoriserait un tel projet. Il en parlera avec son directeur. Il peut aussi t'aider si tu as besoin de renseignements pour les navires. Tu aurais eu bien besoin de son aide en arrivant à Egvekinot.

Pour un futur voyage, tu penses qu'à plusieurs motards et l'aide de Kosta, le voyage pourrait faire l'objet d'un reportage. Il y a vraiment matière à filmer, aussi bien dans le centre du Chukotka que sur les côtes.

Le vent est fort dans la baie, et le navire a des difficultés pour s'éloigner du quai. Mais une fois lancé, il reste étonnamment stable. A bord, les quelques passagers sont les personnes que tu avais croisées près de l'engin amphibie, au Nord d'Amguema. Ils travaillent dans une mine d'or, et prendront un avion pour Moscou. Leurs vacances annuelles.

Il y a aussi Igor, dit Igor Diesel, un marin-motard qui vient de Vladivostok. Il a vu l'autocollant des « Iron Tigers » sur la moto. Le motoclub de Vladivostok qui t'avait hébergé en 2010. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux t'adresser à lui.

Sur le pont, tu admires les paysages. La baie d'Egvekinot possèdent plusieurs branches qui s'enfoncent dans les montagnes. Des fjords de très grande beauté. A nouveau des regrets de ne pas avoir randonner en bateau dans cette baie.

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Vendredi 8 août 2014

La traversée est rapide. Moins d'une vingtaine d'heures. Arrivés à Anadyr, les passagers rejoignent la ville sur un petit bateau. Mais le cargo doit rester ancré au milieu de la rivière, attendre son tour pour charger du charbon. Le capitaine t'indique que tu ne récupèreras ta moto que demain matin, à 8h.

Avant de quitter le port, tu rends visites au dispatcher. Un navire devrait partir pour Vladivostok en milieu de semaine prochaine. Il te conseille de lui téléphoner lundi ou mardi matin.

Une fois en ville, tu demandes à un passant où trouver une gotsinitsa. Il te conduit.. vers le fameux hôtel grand luxe où tu avais fini par prendre un repas. Le « Chukotka ». Tu arrêtes ton guide à 100 mètres de l'hôtel. Tu ne souhaites pas un hôtel « cinq étoiles », mais une simple gotsinitsa. Il t'amène à un second hôtel. Peut être un « trois étoiles ». Celui-ci est encore trop bien, trop cher, mais tu renonces à en demander un troisième. Avec un peu de chance, tu repartiras au bout de deux ou trois nuits. Tu es surpris que, poussiéreux comme tu es, les gens te conduisent dans les hôtels chics.

Tu laisses tes affaires à l'hôtel et te rends à l'aéroport qui se trouve de l'autre coté de la rivière. La barge passe devant le Professeur Kromov, le bateau de Russ qui est déjà rentré de sa croisière. Une fois à l'aéroport, tu recherches le « Cargo terminal », la zone de fret. La dame qui te reçoit semble peu disponible, mais elle fera de son mieux pour t'aider. Les motards Français ont la côte. Tu téléphones à Kosta pour qu'il joue les traducteurs. Tu sais que les informations pourront servir à Philippe.

Au final, l'expédition de la moto devrait être possible, mais il faut attendre l'accord de Moscou. Une moto est considérée comme une « dangerous good » et l'acceptation n'est pas automatique. Tu n'auras pas de réponse avant lundi soir, voire mardi matin, et ce sera trop tard pour l'avion de lundi. Tu t'es une nouvelle fois fait piéger par les weekends. Donc si tu prends l'avion, ce sera vendredi prochain. Te voilà pour une semaine à Anadyr. A moins que tu ne prennes le bateau pour Vladivostok, mais cela rajouterait au moins trois semaines de voyage. Attendons lundi.



Samedi 9 août 2014

Le capitaine du navire t'avait demandé d'être présent sur le port à 8h, mais le bateau n'accostera qu'à 10h. Un retard « normal » en Russie. Une fois rentrer à l'hôtel, tu regardes sur tes cartes les routes au départ d'Anadyr. Tu as envie de rouler à moto et de découvrir la région. Tu es vite refroidi : il n'y a aucune route à partir d'Anadyr. Du moins pas de route d' été. Les habitants sont ici comme sur une île. Ils peuvent prendre une barge pour l'autre rive, là où se situe l'aéroport, mais c'est tout. Tu comprends pourquoi il n'y a pas de moto à Anadyr. Pourquoi les taxis prennent 100 roubles quelque soit ta destination. Seul le bateau aurait pu te permettre des balades, mais le temps de montage est bien trop long.

Tu appelles Kosta pour savoir s'il ne connait pas des chemins non repérés sur les cartes. Il te propose de passer sur l'autre rive. Là, tu pourras prendre une route sur 8 km et visiter les ruines d'une base abandonnée de missiles intercontinentaux. C'est un peu limité comme balade, mais pourquoi pas. Tu iras lundi en allant rendre visite à la dame du « Cargo Terminal ». Le temps va passer lentement à Anadyr.

Une petite marche. Sur la place du musée se tient un spectacle, une sorte de kermesse avec des animations pour les enfants. Sur une estrade des danseurs Tchouktches assurent le spectacle. Des jeunes gens se relaient pour chanter et danser sur des airs de musique traditionnelle.

Tu rentres à l'hôtel. Tu vas avoir du temps. Tu peux commencer à travailler sur un second voyage.

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