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De Bilibino à Egvekinot

 

Vendredi 18 juillet 2014

Vous êtes allés déposer vos affaires dans le camion hier soir. Tu souhaitais aussi faire un essai de chargement de la moto sur le camion de Pavel avec un palan. Tu veux pouvoir la charger et la décharger le plus vite possible pour ne pas faire perdre trop de temps aux chauffeurs.

Ce matin, vous avez rendez vous avec Pavel à 10h pour le grand départ. Vous prenez tous un taxi et passez à la station service pour que tu remplisses tes jerrycans. Tu emportes un total de 70 litres d'essence.

Tu ne comprends pas toutes les discussions, mais Costa et Jeima resteront sur Bilibino et prendront plus tard un camion pour Pevek. Danila monte dans un camion conduit par Sacha. Nadia et Mikhail, le couple de personnes âgées qui accompagnaient Costa, montent dans le camion de Pavel qui portent vos bagages, et toi tu suis en moto. Ou plutôt tu ouvres la route car tu aurais du mal à suivre derrière le nuage de poussière soulevée par les camions.

Lors des cent premiers kilomètres, la route est bonne, voire très bonne. Les camions n'avancent pas bien vite à cause du relief. Tu t'arrêtes pour les attendre tous les 30km environ. Les gués que tu traverses sont peu profonds. Des ruisseaux plutôt que des rivières. Mais tu sais que cela ne peut pas durer.

90km. Tu attendais la première grosse rivière à 200km, mais en voici une qui te donne déjà à réfléchir. Au lieu de prendre le gué des camions, qui te semble trop profond, tu t'éloignes en aval et trouve un passage moins profond. Tu traverses avec de l'appréhension. Le courant pousse l'eau sur tes bottes, et tu as rapidement la botte droite remplie d'eau. Tu aurais du mettre ton pantalon de pluie, mais c'est trop tard. Tu attends les camions. Sacha qui arrive le premier te dit qu'il te faut retraverser car c'est l'heure du déjeuner... Tu retires tes bottes et traverses pieds-nus. Tu es heureux d'avoir effectuer ta première traversée sans accroc, mais il ne faut pas abuser non plus.

Les rivières se succèdent. Une heure plus tard tu recherches à nouveau un passage plus rassurant que le gué officiel lorsque Pavel te dit que l'on va charger la moto car d'autres rivières encore plus profondes vont suivre à 10, puis 30 km.

Danila s'occupe du palan alors que tu prépares la moto. Il vous faut une dizaine de minutes pour hisser la moto à 1 mètre du sol. Lors de la traversée suivante, elle sera mouillée jusqu'au moteur, soit une hauteur d'eau d'1m30 environ.

Après cette première série de rivières, tu récupères la moto. L'ensemble chargement-déchargement prend un peu plus d'une demi-heure, et tu as honte de faire perdre ce temps à tes compagnons de route. En Sibérie, le temps n'a pas la même valeur qu'en Europe occidentale... On le prend, mais on ne le compte pas. Tu n'es toujours pas un vrai sibérien.

Rivière après rivière, tes deux bottes ont été plusieurs fois inondées. Alors que vous avez hissé à nouveau la moto sur le flanc du camion, Pavel s'en inquiète. Il pense que tu vas prendre froid. Il t'offre une paire de chaussettes neuve, te prête un pantalon et une paire de chaussures.

La journée dure. Elle pourrait ne jamais s'interrompre comme le soleil ne se couche pas. Mais Pavel et Sacha, les chauffeurs s'arrêtent pour un semblant de nuit vers 11h du soir. Toujours près d'une rivière afin d'avoir de l'eau pour le thé. Au Chukotka, l'eau des rivières est claire, pure. Il suffit de se baisser pour remplir la bouilloire.

Tu recherches un peu de sable pour planter ta tente. Tu la dresses vite, dînes avec tes compagnons, et tu files te coucher pour t'endormir de suite. Pavel a conservé ton pantalon et tes bottes trempés. Il t'assure que tout sera sec demain. Tu as du mal à le croire.

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Samedi 19 juillet 2014

Tu es réveillé le matin par le bruit d'un troupeau de rennes. Vous vous êtes arrêtés près d'un campement Tchouktche, et tu les observes de loin. Seul, tu aurais pu aller à leur rencontre.

Pavel te rend tes bottes et ton pantalon. Tout est sec. Le chauffage des Kamaz est redoutable... Tu récupères la moto en milieu de matinée après une nouvelle série de rivières profondes. Cette fois, tu portes ton pantalon de pluie pour freiner l'entrée de l'eau dans les bottes. Tu sais que ce ne sera pas d'une efficacité totale, mais avec un peu de chance, tu resteras les pieds au sec plus longtemps.

En fin de matinée vous vous arrêtez dans la base-vie d'un chantier. Probablement des personnes qui travaillent pour la route, ou alors la base reculée de mines. La richesse de la région reste les mines d'or, mais celles ci sont éloignées de la route. Parfois de plusieurs centaines de kilomètres. La remorque que portait Pavel sur son camion est descendue par une grue. Et vous repartez, Pavel traînant désormais deux remorques.

Peu de temps après, une rivière qui te semble bien profonde. Pavel te dit que l'on va monter le camion sur la remorque. Le palan ne peut plus être utilisé depuis que les deux remorques ont été dépilées, et il vous faut monter la moto à la force des bras. A quatre, cela n'est finalement pas si difficile mais il ne faudrait pas le faire trop souvent.

En début d'après midi, vous arrivez au pont de la rivière Palawan. Le seul pont de cette route, que vous ne prendrez pas car il mène à Pevek. Vous attendez à l'embranchement un ami de Pavel qui doit venir chercher la seconde remorque depuis Pevek. Le rendez vous est fixé au milieu de journée, mais vous attendrez jusqu'à 6 heures du soir. Un petit retard pour la Sibérie. Pevek n'est qu'à 200km, mais il faut compter 7 heures de route pour un camion.

Danila fait du feu car la température a bien baissé depuis Bilibino. Il fait désormais moins de 10°. Tu discutes avec Danila qui vous quittera pour Pevek où il sera rejoint plus tard par Costa et Jeima. Les parents de Danila sont nés en Ukraine, et le sujet est brulant pour Danila. Tu es surpris par sa colère, par les critiques qu'il adresse aux occidentaux. Mais tu le comprends. Une partie de sa famille vit dans des zones bombardées. Tu ne pensais pas que tant de Russes avaient des attaches en Ukraine. Tu ne comptes plus les personnes rencontrées qui t'ont dit avoir de la famille dans cette partie de l'Ukraine.

Danila a beaucoup voyagé. Il a passé plusieurs mois en Australie, en Nouvelle Guinée-Papouasie, dans plusieurs régions du monde. Il est critique vis à vis de beaucoup de choses en Russie, mais il considère sans ambiguïté que la partie orientale de l'Ukraine devrait rester liée à la Russie. Les frontières ont été dressées sous l'autorité de Staline sans lien avec l'identité des peuples. A l'époque, on était avant tout Soviétique, et l'appartenance aux Républiques Ukrainienne ou Russe était anecdotique. Aujourd'hui, les familles sont séparées par une frontière devenue réelle, et les bombes pleuvent. Danila est en colère comme beaucoup de Russes.

Danila n'a pas trente ans, mais il regrette l'Union Soviétique. A l'époque, les frontières étaient sans importance. A l'époque, la population de Bilibino était deux fois plus importante. A l'époque, les villes fantômes n'existaient pas. Le pays fonctionnait. Le Parti Communiste était pour Danila une anomalie, mais l'Union Soviétique une richesse. Pour Danila, Gorbatchev a détruit un pays, et il lui en veut pour cela.

Tu es aussi surpris par le soutien que les Russes portent à Poutine. Rares sont ceux qui le critiquent. Pour toi, occidental, Poutine est l'archétype du politicien attiré par le pouvoir. Tu l'imaginais détesté par ses concitoyens. Un homme de système, adroit, mais sans valeur humaine. Pour les Russes que tu rencontres, Poutine est au contraire un homme apprécié. Il a redonné de l'autorité au pouvoir. Il a aussi réduit fortement l'insécurité et mis en chantier une reconstruction à la fois économique et politique de l'ex Union Soviétique, ou de la grande Russie. Les blagues envers Poutine sont nombreuses, mais elles sont plutôt bienveillantes.

Lorsque l'ami de Pavel arrive pour récupérer la remorque, aucune rancœur pour le retard, mais le plaisir des retrouvailles. La route d'été vient juste d'ouvrir, et depuis la fermeture de la route d'hiver, les amis ne s'étaient plus vus. A nouveau un thé, un café, des discussions, des blagues...

Il est près de 8 heures du soir lorsque vous repartez. Tu as pris la place de Danila dans le camion de Sacha. Vous suivez la rivière Palawan en direction du Sud. Les traversées de rivières qui affluent vers la rivière Palawan sont nombreuses.

Les paysages sont d'une grande beauté. Tu réalises que tu es sur l'une des plus belles routes que tu connaisses. Tu te souviens, dans ta jeunesse avoir parcouru avec la même émotion la route entre Tamanrasset et Djanet. Pendant ton tour du monde, tu avais admiré la route du Nord en Mongolie, et aussi la route de l'Altiplano Bolivien entre San Pedro de Atacama et Uyuni. Mais celle-ci est encore plus belle. Les vallées sont vertes et les montagnes nues. La variété des roches est telle que les couleurs changent en permanence. Tu es heureux d'être sur cette route. Elle valait à elle seule ce long voyage.

Les relations avec Sacha, sont étranges. Danila t'avait prévenu que Sacha était en colère contre ton casque qui avait fait une rayure sur son tableau de bord alors que tu étais dans le camion de Pavel. Sacha est très attaché à son camion, à ses habitudes, et tu dois faire avec. Tu es assis sur le siège libre, près de la fenêtre avec à tes pieds la caisse de nourriture de Sacha. Mais tes pieds sont eux au niveau du siège central sur lequel Sacha laisse son paquet de cigarettes et son sachet de bonbons. Ta position n'est donc pas des plus confortables surtout quand le camion fait du rodéo sur les pierres.

Alors que tu apprécies Nadia et Micha, le couple de personnes âgées qui voyage avec pavel, tu sens qu'une certaine distance existe entre eux et les chauffeurs. Peut être parce qu'ils s'attachent à prendre leurs repas à part, alors que les chauffeurs mettent tout en commun. Tu regrettes ce froid et essayes de faire le lien. A nouveau, ton niveau de Russe ne t'aide pas... Mais tu aides Nadia et Micha à récupérer leurs sacs dans le camion dès qu'il le faut. Escalader la remorque pour Micha qui a 75 ans n'est pas forcément simple, et tu l'as vu chuter en arrière lors de la pause dans la base vie. Heureusement une chute sans conséquence.

Nadia et Micha sont Moscovites. Ils ressemblent à tout couple de retraités français. Tu les aurais imaginés ex-propriétaires d'une mercerie, ou peut être d'une droguerie dans un petit village provençal. Mais Micha travaille encore, et Nadia vient juste de prendre sa retraite. Quel travail ? Tous les deux sont des experts en armement... Nadia travaillait pour les systèmes de navigation des missiles balistiques longues portée, et Micha est toujours un expert en satellite de surveillance. A nouveau l'armée... Tu as l'impression de revivre les mêmes rencontres.

Pavel roule désormais devant, et le camion de Sacha suit. Régulièrement, Pavel annonce un ours à droite, puis un autre à gauche... Tu avais fini par croire que les ours faisaient parti d'un mythe, mais tu peux témoigner : ils existent, et ils sont effectivement nombreux. Parfois aussi des élans car il faut bien nourrir ces ours.

Lorsque les camions arrivent, les ours s'enfuient. Même s'ils sont énormes, ils comprennent qu'ils ne font pas le poids face à un Kamaz. Ils se mettent alors à courir à une vitesse que tu n'aurais pas soupçonnée. Ils courent aussi vite quelque soit le relief. Une fois, tu en voies un qui prend la pente à 45° d'une montagne de face, et qu'il la gravit comme s'il la descendait. Tu es impressionné par leur puissance. Et par l'énergie qu'ils déploient car la course dure plusieurs minutes, jusqu'à ce que vous perdiez de vue l'animal. Si un ours devait te courir après, il te rattraperait en bien peu de temps. Tu te demandes si le bruit de ta moto aurait le même effet qu'un Kamaz. S'enfuirait-il ?

Sacha te parle aussi qu'il y quelques années, étaient passés des motards Polonais. Tu avais lu leur blog, et trouvé beaucoup d'informations sur cette route. A Seymchan déjà, on t'avait parlé d'eux. Il semble qu'à part eux, aucun motard ne soit passé par là. Sauf cette année, deux motards en KTM qui se suivent à deux semaines d'intervalle.

Le soir, vous campez à nouveau près d'une rivière. De l'autre coté d'une rivière, un convoi de camions qui rejoint une base vie depuis une mine d'or. Peu d'échanges entre conducteurs. Le monde des mines semble être à part. Pavel te montre sur la colline avoisinante un ours qui vous observe. Il ne semble pas impressionné par les véhicules à l'arrêt, et il n'est pas pressé de s'enfuir. Il finira par s'écarter tranquillement. A proximité des Kamaz, tu t'endors sans inquiétude sous la tente.

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Dimanche 20 juillet 2014

Alors que tu remontes dans son camion, Sacha te proposes de t'assoir à coté de lui. En souriant, il te parle du rapprochement entre la Russie et la France. Un peu plus tard, il te gratifiera d'un « My friend ». Tu es content de l'évolution de votre relation car tu étais gêné de sentir que ta présence avait été imposée à Sacha sans réelle approbation. Tu es aussi content d'être assis plus confortablement. Mais les discussions restent toujours aussi limitées. Sacha te parle comme si tu comprends tout ce qu'il te dit, alors que tu as vraiment du mal à suivre le fil de ses paroles. Avec Pavel, les choses sont plus simples car ils répètent les choses de différentes manières, en recherchant le vocabulaire que tu connais. Et Pavel n'hésite pas à lancer un ou deux mots d'Anglais parfois.

En début d'après midi, vous rencontrez la neige lors du passage d'un col. Des engins de chantier sont sur place pour tracer la piste dans la neige. Deux hommes vivent là dans une roulotte et l'un d'entre eux est l'ami de Pavel. Vous êtes donc invités pour un thé, et chacun apporte ses gâteaux, ses poissons fumés et autres friandises.

En fin d'après midi, une nouvelle pause à coté d'une rivière. Pavel et Sacha sortent leurs cannes à pêche. En trois quart d'heure, ils auront pêché une douzaine de kilos de poissons. Pavel te dit que cela est peu, qu'il est déçu. Peut être est-ce le début de saison, que les poissons n'ont pas encore pris leur taille normale.

La majorité des poissons sont découpés et mis dans un sceau avec du sel. D'autres sont réservés pour le repas du soir. Tu remarques le couteau de Pavel : un Opinel... Pavel est fier de son couteau qu'il trouve excellent. Il savait qu'il s'agissait d'un produit de haute technologie Française, mais tu ignorais pour ta part que ces produits sophistiqués étaient exportés. Depuis ton arrivée en Russie, tu remarques souvent des produits Français : une bouilloire Tefal, une boîte de conserve Bonduelle, un flacon de « Petit Marseillais »,… et maintenant le fin du fin : l'Opinel.

Vous reprenez la route en soirée, et, comme la veille, Pavel et Sacha conduiront jusqu'à minuit. Tu es impressionné par leur résistance. Le campement du soir est situé auprès de la dernière rivière profonde.... Tu attendais avec impatience le plaisir de retrouver ta moto. Ce sera dès demain matin. Cette journée de passager t'a été bien longue.

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Lundi 21 juillet 2014

Te voilà à nouveau heureux sur la moto. Pavel t'a indiqué que tu auras encore 8 rivières à traverser, mais il doit s'agir de 8 rivières vues d'un Kamaz car les cours d'eau se succèdent. Tu ne les comptes pas. Tu prends beaucoup de plaisir sur cette « route ». Lorsque tu avais 23 ans, tu avais passé 18 mois dans les Aurès, en Algérie, avec une moto, une des toutes premières XT600. Tu étais officiellement enseignant coopérant dans une université, mais ton emploi du temps était tel que tu avais passé l'essentiel de ton temps à parcourir les pistes des montagnes et du désert proche. Tu aimes donc les pistes empierrées, et tu retrouves progressivement certains réflexes d'antan. Il y a toujours les rivières qui t'inquiètent. Mais, petit à petit, tu t'y habitues et tu finis même à prendre plaisir à les traverser. Au fond, il n'y a que des pierres. Sauf que ces pierres sont glissantes, qu'on ne les voit pas toujours, que l'on peut finir par buter sur une pierre plus grosse que les autres. Tu ne crains pas la chute, mais l'immersion de ta moto pleine d'électronique.

Aurais-tu pu faire tout ce chemin seul avec tes bagages et ton bateau ? Probablement pas. En tout cas, tu aurais connu à répétition des situations très compliquées. Tu ignores si tu serais passé, mais le risque de faire chuter la moto dans une rivière était grand. Déchargée, tu conduis la moto comme un jouet. Chargée, c'est souvent elle qui décide et toi qui devient le jouet que l'on secoue.

Pendant ce trajet, tu as surtout profité du camion pour te délester de ta charge. Traverser une rivière à vide n'a rien à voir avec la même traversée chargé de plus de 100kg de bagages. Le fond des rivières varie beaucoup : parfois des gros pierres sur lesquelles on rebondit, et parfois des galets, voire des graviers dans lesquels on s'enfonce rapidement. Souvent, ton pneu usé, sur-gonflé, a eu tendance à creuser dans les graviers. Il s'enfonce, mais un minimum de vitesse et la puissance du moteur suffisent à poursuivre la traversée. Avec la charge, tu serais resté bloqué, ensablé... Pour éviter cela, il t'aurait fallu vingt fois décharger, puis recharger après la traversée. Il aurait aussi fallu dégonfler et prendre le risque de crever... A deux ou trois, les choses auraient pu être différentes vous auriez pu pousser les motos l'une après l'autre. Mais seul... tu aurais vraiment beaucoup souffert.

En fin de matinée, le croisement avec le 180-ème méridien. Le complément du méridien de Greenwich... Celui qui devrait être la ligne de changement de date s'il n'y avait les frontières politiques. Tu observes ton GPS: E179°59,9..' puis W179°59,9..'. Alors que tu attends les camions, tu réalises que ceux ci se sont arrêtés quelques centaines de mètres plus tôt. Tu les rejoints. Un panneau E180°W a été placé un peu trop tôt, mais vous faites la pause près du panneau. Pavel en profite pour faire un peu de mécanique car les petits problèmes arrivent même sur les rustiques Kamaz. Mais ils sont généralement simples à régler.

La route devient belle et large sur une dizaine de kilomètres : vous êtes proches d'une énorme mine à ciel ouvert, et les accès à la base-vie, aux zones d'extractions sont toutes particulièrement bien entretenus. Il y a même un terrain d'aviation qui longe la route. Jusqu'à Egvekinot la route reprend une forme normale, mais c'est désormais une belle section, sans zone particulièrement difficile, si ce n'est les rivières.

L'arrivée sur Egvekinot se fait dans le brouillard et le froid. Tu pensais que le temps y serait doux, tempéré par la mer. Tu auras connu Bilibino, qui se situe au dessus du cercle polaire, avec une température supérieure à 30°, et Egvekinot qui est à quelques centaines de kilomètres plus au Sud par une température d'environ 5°C. La logique météorologique ne suit pas toujours la géographie.

Tu regardes ton compteur kilométrique : 502km. Sur un total de 1050km tu n'auras pas fait la moitié du parcours en moto. Mais tu es heureux et un peu étonné d'être là. En quittant Grenoble, tu pensais que la moto ne tiendrait pas avec toute sa charge. Peut être aurait elle lâché dans cette dernière section, mais vous êtes là, au bout de la route.

Pavel vous laisse, Micha, Nadia et toi au centre ville, près de l'église en construction. Sacha ne vous a pas suivi. Tu es surpris de les quitter ainsi, aussi rapidement. Tu replaces tes affaires sur la moto. Micha et Nadia ont demandé à un passant où l'on pouvait trouver une gotsinitsa. La réponse est « Niet ». Tu es surpris qu'il n'y en est pas dans une ville isolée, et relativement importante. Mais l'homme vous a conseillé de vous rendre à la mairie. Micha et Nadia sont logés par des amis d'amis, mais ils veulent t'aider à trouver un logement.

Micha t'accompagne donc à la Mairie. Vous expliquez ton cas à une secrétaire, puis êtes reçus par l'adjoint au Maire, puis par le Maire. Tu as honte lorsque le Maire te tend la main. La tienne est pleine de terre. Micha vous quitte et la secrétaire qui vous avait accueillis revient parmi vous : elle parle Anglais et prend le rôle d'interprète. Elle t'explique que la gotsinitsa est pleine ce soir, mais que des places se seront libérées dès demain. Les coups de téléphone se poursuivent. Au bout d'un moment, une chambre est trouvée. Avant de quitter la Mairie, il te faut attendre les gardes frontières qui souhaitent vérifier tes papiers.

Tu leur expliques ton voyage, ton bateau,... Ils sont inquiets pour toi. Tu leur dit que tu souhaiterais trouver un pêcheur qui puisse t'accompagner sur une partie du trajet. Mais les petits bateaux ne sortent pas encore de la baie à cause de la glace. La débâcle a été tardive, et la navigation reste dangereuse. Tu ne t'attendais pas à cela. Combien de temps ce blocage va-t-il se poursuivre ? Ils l'ignorent. L'année dernière à la même époque, la débâcle était terminée. En revanche, la baie de Provideniya est ouverte.

Maria, la secrétaire, t'accompagne avec l'adjoint au Maire dans une gotsinitsa. Tu pourras aussi y prendre tes repas. Tu es ensuite guidé jusqu'à un garage où tu peux laisser la moto et son chargement. Te voilà à nouveau pris en charge, et tous tes problèmes potentiels réglés. Maria te laisse son numéro de téléphone en cas de besoin.

La gérante de la gotsinitsa paraît autoritaire, rigide. Mais une fois tout le monde parti, elle se montre attentionnée. Elle prend en charge tes bottes pleines d'eau, et te propose d'utiliser le lave linge. Elle te fournit aussi shampoing et savon... Elle a deviné que tu en avais vraiment besoin.

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Mardi 22 juillet 2014

Si le voyage d'Egvekinot à Provideniya est trop compliqué, il faut te concentrer sur la seconde partie : la traversée du détroit. Tu es décidé à prendre un navire qui t'y emmènes, puis de faire les essais dans la baie de Provideniya plutôt qu'ici. Faire les derniers 350km en mer sera déjà suffisamment compliqué.

Tu te rends à la Mairie pour demander à Maria des informations sur les navires entre Egvekinot et Provideniya. Tu lui proposes aussi de faire une présentation de ton voyage à l'école, comme tu l'as déjà fait à Bilibino. Pour l'école, pas de souci et un rendez vous est pris pour le lendemain. En revanche, les bateaux... il n'en passe pas tous les jours, ni même toutes les semaines. Encore moins pour Provideniya. Tu comprends vite qu'il serait plus judicieux de prendre un bateau pour Anadyr, et de là, de te rendre à Provideniya. Anadyr est la capitale du Chukotka, une sorte de hub pour la navigation. Tu pensais que les bateaux suivaient la côte et s'arrêtaient dans chaque port, mais il n'en est rien.

L'Adjoint au Maire téléphone au port pour toi. Il y a actuellement deux bateaux dans le port, ce qui est exceptionnel. Ils partiront demain matin tous les deux pour Anadyr. Le premier, un porteur de containers ne peut te prendre car il est plein. Tu penses qu'il n'y a pas de cabine pour toi, car ta moto est vraiment petite à coté de ce navire. Vous allez donc avec Maria et l'Adjoint au Maire rencontrer le Capitaine du second bateau : un petit bateau de croisière Russe qui transporte une cinquantaine de touristes. Effectivement, Maria t'avait annoncé qu'il y avait en ce moment des touristes Canadiens en ville, ce qui était tout aussi exceptionnel que ton passage.

Sur le chemin, tu entends quelqu'un qui crie ton prénom. Tu reconnais cette voix : Pavel. Tu es heureux de le revoir, même rapidement. Lui aussi visiblement. Il te dit de lui téléphoner si tu as un problème, et vous vous quittez pour rejoindre le navire.

L'Adjoint monte dans le navire. Alors que vous attendez sur le quai avec Maria, un camion-bus scolaire arrive. Il ramène les touristes. Tu reconnais leur guide : Mille, une américaine qui vit en Alaska qui a été ton intermédiaire avec les autorités du Chukotka. Tu avais vu sa photo sur le site web de l'association pour laquelle elle travaille en Alaska. Tu crois te souvenir que le but de cette association est d'aider à la scolarité des enfants eskimos. Mille t'avait récemment annoncé qu'elle était pour 10 jours au Chukotka, mais tu ne pensais pas la croiser ainsi, sur un quai. Elle ne t'a pas reconnu. Tu n'es pas déguisé en motard, et au coté de l'élégante Maria, elle te prend pour un fonctionnaire Russe.

Descendent ensuite le Capitaine du bateau, un Néo-Zélandais, et l'adjoint au Maire. Le Capitaine est d'accord pour te prendre moyennant paiement. Tu es d'accord avec son offre : tu amènes la moto ce soir à 7 heures, et tu embarques demain matin à 7 heures. Tout est décidé en quelques minutes.

Tu as juste le temps de récupérer ta moto, de dire au revoir à Maria, de refaire ton chargement et de prendre ton repas. La moto est hissée à l'aide de la grue du bateau. Tu commences à avoir l'habitude de la voir ainsi soulevée dans les airs. Le Capitaine te montre ta cabine, et tu repars ensuite à la gotsinitsa.

Tu discutes une dernière fois avec la gérante de la gotsinitsa. Le Chukotka n'est il pas trop difficile à vivre ? Le froid, l'isolement, l'absence de soleil l'hiver ? Au contraire ! Elle est originaire d'Omsk, mais le Chukotka est si beau. Tellement, tellement beau. Avant Egvekinot, elle a passé quelques années dans un village sur la côte Arctique. Elle te montre des photos. Les morses, les ours blancs, les fleurs, tout est si beau au Chukotka... Les parties de pêche avec des amis Chouktches. Elle te fait penser aux expatriés Français qui vivent en Afrique et qui pour rien au monde ne rentreraient en métropole.

Tu regrettes de quitter Egvekinot si vite. Tu aurais souhaité y passer plus de temps. Tu as apprécié l'accueil du personnel de la Mairie, de celui de la gotsinitsa. Tu aurais voulu faire cette présentation à l'école. Te promener davantage dans les rues. Explorer la piste d'Amguema et refaire quelques traversées de rivières pour le plaisir. Là, tu plaisantes ?

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