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Dimanche 1er août 2010

 

Vous quittez Samarcand en début de matinée, après avoir fait le plein. Le prix de l'essence a encore baissé. Peut-être la proximité de Tachkent. Grâce aussi aux talents de négociateur de Johan. Vous devez rouler à cinq jusqu'au deux tiers de la route de Tachkent. Là, la bande des quatre partira vers l'Est sur Anjouan, et tu continueras sur Tachkent.

 

La route est plutôt bonne. Tout au long des routes Ouzbeks, les bas-cotés sont occupés par des vendeurs de produits locaux. On voit beaucoup de melons et de pastèques ces jours-ci. Suivant les endroits, les vendeurs proposent aussi des tomates, des patates, des oignons, du miel ou des pommes. Régulièrement, des buvettes mettent en avant les bouteilles de coca cola. Les revendeurs d'essence placent aussi des bouteilles sur les bords de route, pour qu'on les identifient aisément. Aucun policier ne semble gêné par cette économie parallèle.

 

Les revendeurs des bords des routes sont souvent des enfants. Parfois des personnes âgées. Indifféremment des hommes ou des femmes. Contrairement à l'Iran et au Turkménistan où le commerce est une affaire d'hommes, ici, l'égalité des sexes face au travail semble être un principe. Peut être un héritage du communisme. Aussi une manière plus souple de vivre l'Islam.

 

A 100 kilomètres de Tachkent, la route s'interrompt pour une longue déviation autour d'un triangle qui fait partie du Kazakhstan. Un contrôle de police est placé juste avant cette déviation. Nulle indication pour Tachkent et vous ratez la déviation. Comme les deux voies de la route sont séparées par un muret en béton, vous allez faire demi-tour et revenez sur le contrôle de police. Johan s'arrête pour essayer de faire à nouveau demi-tour au contrôle. Les autres continuent et tu arrives derrière. Tu t'arrêtes pour demander au policier la direction de Tachkent. Le policier, un jeune hystérique, s'énerve parce que tu t'es arrêté près de lui, que tu pourrais gêner la circulation. Il te fais signe de te garer plus loin. Il garde ton passeport. Tu gares ta moto et reviens le chercher. Dans leur guérite, tu découvres Johan, en discussion avec un autre policier.

 

La situation est claire : ils veulent des dollars. L'hystérique te répète : « bank ». Ils vous prennent pour une banque ambulante. Avec Johan, on fait d'abord semblant de ne pas comprendre. Un policier prend Johan à part. Il écrit sur un papier : $100. Pas question de payer une telle somme. Johan me demande si je suis d'accord pour $30 pour tous les deux. Cela ne me plait pas, mais je lui donne mon accord. Son policier accepte de descendre à $50, mais pas moins. Blocage. Un autre policier, plus âgé s'intéresse à nos voyages. Tu expliques rapidement ton tour du monde. Non seulement cela fait diversion, mais on sent de l'admiration dans leurs réactions. Du respect. Ton hystérique est perturbé et il s'est tu. Mais il a toujours ton passeport. Tu commences un peu à t'énerver. Tu expliques que tu as besoin de tes dollars pour la Mongolie et que tu ne paieras pas. Pour montrer ta détermination, tu enlèves ta veste et t'installes parterre, presque allongé dans un coin de leur pièce. D'abord, tu as tout ton temps, même si tu sais que vos amis attendent Johan. C'est toi qui est au sol, mais tu les sens mal à l'aise et ils acceptent les $30 que proposait Johan. Tu es un peu en colère de t'alléger de $15, mais tu as donné ton accord et tu te relèves. Cela vaut bien pour les excès de vitesse que vous avez fait aujourd'hui.

 

Au moment de partir, ils viennent voir les motos. Ton hystérique joue avec ton klaxon. Il t'énerve. Le policier de Johan arrive pour te serrer la main. Une façon de dire « Sans rancune! ». Tu acceptes, mais avec rancune.

 

Vous repartez, et cinq kilomètres plus loin vos routes se séparent. Tu continues seul sur Tachkent. Vous vous retrouverez peut-être à Vladivostok, dans six semaines. Presque vingt mille kilomètres plus loin.

 

A Tachkent, tu mets du temps à trouver le Bed and Breakfast que la propriétaire du « Najiba » de Samarcand t'a indiqué. Tu finis par te faire guider par un taxi.

 

Le prix est bien de $15, mais c'est une chambre de deux et le propriétaire espère trouver un autre touriste. Soit, tu serais content de papoter.

 

Tu ne sais pas si tu resteras une nuit ou deux, mais tu souhaiterais vidanger ton moteur, changer ton pneu, et retirer des dollars avec ta carte bleue. Tu essayeras dans une grosse banque mais tu ne sais pas si cela est possible. Si tu n'y arrives pas, tu essayeras à Almaty, au Kazakhstan.

 

En partant vers un restaurant, tu découvres que deux des boutiques voisines sont un marchand d'huile moteur – avec un bac à vidange et des jerrycans pour récupérer les huiles usées -, et un vulcanisateur (un réparateur de pneus). Tu pourrais changer ton pneu tout seul, mais il sera plus simple de le faire avec son aide, après avoir monté Toeuf-Toeuf sur des vieux pneus.

 

Le soir, tu découvres un jeune Coréen, Wokee, dans la chambre. Il est venu passer sa semaine de vacances en Ouzbékistan. Tu en as pris 365. Il est perplexe. Comme toi, il voyage seul et est content de trouver à qui parler. « 365 days... ». Vous parleriez bien toute la nuit, mais tu es fatigué.

 

 

Lundi 2 août 2010

 

Après votre petit-déjeuner, Wokee quitte l'hôtel. Tu choisis de régler tes soucis mécaniques le matin. Tu partiras ensuite sur la frontière avec le Kazakhstan après avoir essayé de trouver des dollars dans la grande banque que tu as repéré la veille.

 

La boutique de vidange est tenu par un jeune homme. Au plus 16 ans. Tu arrives à te faire comprendre, et vous vous mettez au boulot. Tu dois commencer à déposer le sabot moteur pour avoir un meilleur accès aux boulons à retirer. Le jeune garçon te prends la clé des mains pour démonter la première vis. Tu le regardes faire avec inquiétude... il tourne avec entrain, mais dans le mauvais sens! Il a foiré la vis, et vous n'arrivez plus à la retirer. Vous abandonnez après un quart d'heure d'essais variés. Tu t'étais déjà promis de ne jamais laisser personne dévisser pour toi la boulonnerie de Toeuf-Toeuf, et tu t'en veux de ne pas l'avoir arrêté.

 

Un voisin, Majid, arrive. Il parle parfaitement anglais. Il est interprète et a beaucoup travaillé pour les agences de voyages. Tu es content de parler et, une nouvelle fois : tu résumes ton voyage et tu expliques ton souci de visserie.

 

Tout en parlant, tu arrives finalement à débloquer les écrous de vidange malgré la présence du sabot. Avant de sortir le boulon principal, tu fais démarres le moteur, pour réchauffer un peu l'huile et la rendre plus fluide. Pour avancer, tu t'attaques au boulon principal de vidange. Tu le débloques, et commence à le dévisser. Tu penses à ta vis foirée et tu en oublies ce que tu fais. Trop tard... le boulon tombe, et l'huile est projetée par la pompe à huile qui tourne en même temps que le moteur. Ton pantalon « de ville » est couvert d'huile de vidange. Tu regardes le jeune qui n'ose pas sourire : « one-one ». La balle au centre.

 

La vidange est effectuée avec de l'huile « made in China ». Il faudra peut-être que tu rapproches les vidanges. Tu fais cent mètres pour rejoindre l'atelier du vulcanisateur. Là, tout se passe bien. Une fois la roue remontée, tu veux payer mais le gars refuse. Il est content d'avoir passé 20 minutes sur une moto et ne te demandes rien en échange. Tu lui proposes tout de même de lui faire faire le tour du quartier sur Toeuf Toeuf, et il accepte.

 

A ton retour, Majid est toujours là. Vous continuez la discussion. Il t'invite dans sa famille. Il pourra aussi t'aider dans ta recherche de dollars. Tu allais quitter l'Ouzbékistan sans avoir vu la vie de famille. Tu acceptes, bien-sûr. Tant pis pour ton calendrier. De toutes manières, en évitant le Kirghizistan, tu as presque rattrapé la semaine perdue pour traverser le Turkménistan.

Tu quittes donc l'hôtel pour t'installer 200 mètres plus loin, chez Majid et sa famille. Il est accompagné par sa ravissante petite-fille de neuf ans, Moubina.

 

En Ouzbékistan, les touristes doivent s'enregistrer dans chaque ville où ils passent une nuit. Encore un héritage de l'Union Soviétique. Les hôtels s'en chargent. A priori, il aurait fallu que tu t'enregistres pour ce soir, mais tant pis. Tu verras bien demain, à la frontière. Tu recommenceras à t'allonger parterre si on te fait des misères.

 

L'après midi, vous vous rendez au siège de la banque que tu avais repéré. Ils veulent bien te faire une avance en dollar sur ta carte Visa, moyennant une commission de 3%. $30 pour $1000, c'est un peu cher, mais tu n'as plus trop le choix. Tu ne sais pas si tu trouveras une autre occasion d'ici la Mongolie, et tu commences à manquer de devises.

 

Vous cherchez ensuite un produit additif qui pourrait améliorer la qualité de l'essence de Mongolie, qui a mauvaise réputation. Tes amis de la bande des quatre avaient ce qu'ils appelaient du « booster », pour remonter l'indice d'octane. Vous trouvez quelque chose. Tu n'est pas certain que ce soit exactement ce qu'il faudrait, mais tu achètes quatre flacons. Cela ne devrait pas faire de mal, et tu es désormais plus léger.

 

Avant de rentrer, vous passez rendre visite à la soeur de Majid. Tu es content de rencontrer ainsi des familles, de découvrir comment ils vivent. Les Ouzbeks sont très accueillants, et c'était vraiment dommage de quitter le pays sans être rentré dans une maison autre qu'un Bed and Breakfast.